Indonésie : menaces sur la forêt tropicale

Des dizaines d'hectares de forêt rasés pour laisser place à des plantations de palmiers à huile dans la Province d'Aceh, Sumatra ©Radio France - Julie Pietri
Des dizaines d'hectares de forêt rasés pour laisser place à des plantations de palmiers à huile dans la Province d'Aceh, Sumatra ©Radio France - Julie Pietri
Des dizaines d'hectares de forêt rasés pour laisser place à des plantations de palmiers à huile dans la Province d'Aceh, Sumatra ©Radio France - Julie Pietri
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"Zéro déforestation en 2030". C’était une promesse de nombreux Etats en 2021, lors de la COP 26 à Glasgow. Parmi eux, l’Indonésie, troisième forêt tropicale au monde, un des poumons verts de notre planète où les coupes massives ont changé le visage de certaines îles.

C'est une forêt dense, pleine de lianes. Une forêt humide, où la pluie battante fait taire, par moments, les cris des singes. "Ce sont des siamangs, ils sont plus petits que les orangs outans", assure Sumini, femme ranger, qui patrouille en forêt pour empêcher les hommes de venir la toucher. Dans cette zone du Bener Meriah, dans la province d'Aceh, la menace numéro un en ce moment, c'est le café.

"Nous sommes sur une zone qui a été déforestée, complètement rasée il y a quelques temps. Notre travail a permis de stopper ça. Nous avons dû discuter longuement avec les villageois, les approcher petit à petit. Au départ, à chaque fois que nous les surprenions en train de couper des arbres, ils nous disaient, "de quel droit vous nous interdisez de faire ça? La forêt, c'est la propriété de Dieu". Ce qui a permis de les convaincre ? "Leur dire qu'ils empiétaient sur une forêt protégée, qu'ils savaient comme nous qu'ils n'avaient pas de permis, et qu'ils auraient affaire à la loi et aux autorités".

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Avec d'autres femmes, Sumini, formée par l'ONG de défense de l'environnement Haka, est devenue une habituée des bivouacs en forêt, des traces de griffures d'ours sur son chemin. Les tigres, elles le sait, ne sont pas loin. "J'avais un peu peur au début... mais je ne me suis jamais retrouvée face à des animaux sauvages. Ils ne s'approchent pas, et nous nous plus". Sur un sentier dégagé à la machette, elle commente chaque espèce d'arbre. "La résine de celui-là sent mauvais... nous l'utilisons pour chasser les fantômes. Cette forêt, nous devons la protéger. Aujourd'hui, les plantations de palmiers à huile sont partout, l'histoire de la forêt indonésienne est très triste".

Sumini, femme ranger en patrouille dans la forêt de Bener Meriah, à Sumatra
Sumini, femme ranger en patrouille dans la forêt de Bener Meriah, à Sumatra
© Radio France - Julie Pietri

L'huile de palme, le poison de la forêt indonésienne

En Indonésie, la déforestation a plusieurs visages. Mines de charbon, de nickel ; coupes de bois pour construire des maisons ; plantations de café, de cacao et surtout, ce petit fruit à coque orangé qui pousse en grappes au sommet de palmiers et dont on tire l'huile de palme : un ingrédient clef pour certaines pâtes à tartiner, pour les cosmétiques et qui sert aussi comme huile de friture ou biocarburant.

"Vous voyez, palmiers à huile encore et encore" : sur une route du district de Bireuen, Indra, ex-militant de l'environnement, aujourd'hui chercheur sur les questions d'implantations agricoles, pointe des arbres aux palmes touffues qui mesurent une vingtaine de mètres de haut. "Il y en a partout". "Les gens qui rasent la forêt ne voient pas ça comme de la déforestation. Pour eux, c'est du nettoyage de terre. Ils transforment une forêt qu'ils voient comme inutile, pas productifs en une plantation qui leur permettra de nourrir leur famille".

En Indonésie, selon la Fédération des producteurs d'huile de palme, les petits fermiers détiennent 42% des plantations. Ruskie, 28 ans, est l'un d'entre eux. Nous le rencontrons sur ses terres, une soixantaine d'hectares nue, rasée. Au sol, de jeunes palmiers à huile commencent à pousser. "Ce n'est pas une histoire de profits : c'est pour subvenir aux besoins de ma famille. Le palmier à huile donne des fruits tous les quinze jours. Imaginez ! Tous les 15 jours, on peut gagner un à un million et demi de roupie pour un hectare". Ne craint-il pas d'endommager l'environnement ? "Ça ira, si Dieu le veut".

Le rythme de la déforestation a chuté en Indonésie

Récolte des fruits du palmier à huile
Récolte des fruits du palmier à huile
© Radio France - Julie Pietri

Aujourd'hui, en Indonésie, la déforestation faiblit. La forêt continue de disparaître, mais cinq fois moins vite qu'il y a une dizaine d'années, grâce à la pression des consommateurs, des ONG, de l'Etat indonésien aussi. Mais, il y a toujours des incursions, des nouvelles plantations dans des réserves protégées. C'est le cas au Rawa Singkil, toujours à Sumatra.  "C'est la mondiale des orangs-outans, mais aussi un puits de carbone, une zone de tourbières précieuse", explique Farwiza Farhan, de l'ONG  Haka, qui revient du secteur.

"Ce que j'ai vu là-bas, c'est une coupe nette de forêt vierge. Un drainage de tourbières et un remplacement par des palmiers à huile. Ca peut être vraiment bouleversant. Sur place, je me demandais... "Comment diable allons-nous réussir à restaurer tout ça ?". Ces vieux arbres, ils ont mis des centaines d'années à se dresser et ils ont été détruits en un claquement de doigt. Il reste encore beaucoup à faire pour nettoyer la chaîne d'approvisionnement. De nombreuses entreprises achètent encore des produits qui viennent de zones protégées".

Cette année, plusieurs négociants en huile de palme, des géants, ont reconnu que certains de leurs fournisseurs s'étaient approvisionnés au Rawa Singkil. Parmi leurs clients, rappelle l'ONG RAN,  Rainforest Action Network, il y a Nestlé, Ferrero ou PepsiCo.

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