Le 21 mai 2014, Lateef Johar, 23 ans, en grève de la faim depuis un mois à Karachi pour défendre l'indépendance du Balouchistan, une guerre oubliée

Le 21 mai 2014, Lateef Johar, 23 ans, en grève de la faim depuis un mois à Karachi pour défendre l'indépendance du Balouchistan, une guerre oubliée

afp.com/Rizwan Tabassum

Devant le "Press Club" de Karachi, superbe édifice colonial où les journalistes de la métropole sirotent leurs journées, se tient une petite tente au fond de laquelle se recroqueville Lateef.

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Les gens passent, mais peu s'arrêtent comme si le gréviste de la faim était un pestiféré.

C'est que Lateef défend une cause hyper-sensible au Pakistan, celle de l'indépendance du Baloutchistan, vaste province du sud-ouest du pays gorgée de ressources naturelles qui est depuis une décennie le théâtre d'une insurrection armée.

Le 18 mars dernier, Zahid Baluch, leader de la plus grande association étudiante locale, le BSO-Azad (sécessionniste), a été enlevé par des hommes armés dans la capitale provinciale Quetta, un rapt attribué aux services secrets par les militants baloutches.

"Ce sont des allégations sans fondement. Nous n'avons kidnappé personne", répond toutefois Manzoor Ahmed, porte-parole des paramilitaires pakistanais au Baloutchistan.

Des activistes et des organisations de défense des droits de l'homme demandent depuis la libération de Zahid Baluch. Lateef et des proches, eux, ont remué ciel et terre dans l'espoir de retrouver le chef du BSO-Azad. En vain.

- Lateef s'offre en sacrifice -

Pour attirer l'attention sur cette cause de l'ombre, le comité central du mouvement étudiant a décidé d'opter pour les grands moyens : la grève de la faim. Et c'est Lateef qui s'est offert en sacrifice.

"Nous voulons seulement que le monde sache ce qui se passe avec nous, comment l'Etat réprime notre mouvement en kidnappant et tuant nos membres", souffle péniblement Lateef, affaibli.

Après un mois de grève de la faim, le jeune baloutche a perdu 21 kilos. Docteurs et amis commencent à s'inquiéter de son sort.

"J'ai vraiment peur pour sa vie. Il est si entêté qu'il refuse de manger et même de prendre des médicaments", affirme le Dr Birma Jesrani, qui suit de près l'état de santé du jeune activiste actuellement près du seuil de l'hypoglycémie.

"Son état peut encore se détériorer rapidement. Il ne pourra pas encore tenir un autre mois comme ça", prévient-il.

- Dans l'ombre des talibans -

Avec une température frôlant les 40 degrés, Lateef boit "entre douze et quinze verres d'eau" par jour, dit-il, mais peine à lire, suivre en ligne ses appuis sur les médias sociaux tant les maux de tête le terrassent.

"Je ne dors pas et j'ai des vertiges lorsque je marche quelques pas seulement pour aller aux toilettes", se plaint-il, assis aux côtés d'une femme en burqa impassible, un bambin sur ses genoux.

"Nous sommes engagés à fond, jusqu'à la fin, dans cette grève de la faim. Si je meurs, quelqu'un d'autre prendra ma place...", assure-t-il.

Depuis une décennie, la rébellion baloutche armée multiplie les attaques contre les forces pakistanaises et les infrastructures nationales, comme les gazoducs et les trains.

Les services de renseignement sont quant à eux soupçonnés d'enlever, de torturer et de tuer des personnes soupçonnées de liens avec la rébellion, des organisations étudiantes ou des partis nationalistes baloutches.

Mais le Baloutchistan, province de près de dix millions d'âmes peuplée de Baloutches, mais aussi de Pachtounes, hostiles en règle générale à la sécession, rappelle au reste du pays un traumatisme: l'indépendance en 1971 de sa portion orientale, le Bangladesh.

Le conflit baloutche, qui menace l'unité nationale, est donc très sensible et se déroule dans une certaine indifférence, à l'ombre des affrontements entre les rebelles talibans et des forces pro-gouvernementales, près de la frontière afghane.

"S'il n'y avait pas eu cette insurrection talibane, notre combat aurait davantage porté, mais n'en doutez pas il se passe bien des choses au Baloutchistan", murmure le gréviste.

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