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Indonésie : les concessionnaires d’huile de palme brûlent la terre pour produire moins cher

Des entreprises indonésiennes d’huile de palme n’hésitent pas à défricher par le feu des terres asséchées par leur propre activité, afin de produire à moindre coût. Une pratique illégale, qui joue un rôle majeur dans les incendies qui détruisent chaque année des écosystèmes et génèrent une pollution atmosphérique massive dans l’archipel et dans les pays aux alentours. C'est la conclusion du travail d'enquête d'ONG indonésiennes de défense de l’environnement qui combinent analyses de données en ligne et enquête sur le terrain.

Sur cette image satellite d’une concession d’huile de palme sur l’île de Bornéo, on peut observer les caractéristiques d’un incendie pour défricher des terres.
Sur cette image satellite d’une concession d’huile de palme sur l’île de Bornéo, on peut observer les caractéristiques d’un incendie pour défricher des terres. © Pantau Gambut
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En octobre  2023 encore, l’Indonésie a été en proie à de nombreux feux de forêts, qui ont même entrainé la fermeture de plusieurs écoles sur l’île de Sumatra.  Et aucun doute, selon des ONG indonésiennes, notamment Greenpeace et l’organisation locale Pantau Gambut : les grands coupables de ces incendies sont les concessionnaires d’huile de palme.

Elles les accusent de déclencher volontairement des incendies pour défricher des terres rapidement et quasiment à coût zéro par rapport à une technique nécessitant l’emploi de bulldozers. Elles plantent ensuite des palmiers à huile. Si cette pratique de défrichage par le feu est une pratique traditionnelle, elle est illégale depuis 2009 en Indonésie.

Les ONG environnementales ont surtout observé une augmentation des incendies dans les tourbières, des écosystèmes marécageux très présents en Indonésie et donc menacés par le puissant secteur de l’huile de palme.

“C’est la méthode la moins coûteuse”. 

Selon Pantau Gambut, une ONG indonésienne qui surveille l’évolution des incendies dans les zones de tourbières, plus de 14 000 départs de feux ont été identifiés en août seulement, soit quatre fois plus que le mois précédent. 

Cette augmentation est directement liée à l’activité des concessionnaires d’huile de palme pour deux raisons, affirme Abil Salsabila, membre de Pantau Gambut :

Certains concessionnaires déclenchent des incendies pour défricher et faire leur plantation, parce que c’est la méthode la moins coûteuse. 

Il faut ajouter à cela que les concessionnaires drainent les tourbières pour alimenter en eau les plantations. Ça a pour conséquence d’assécher ces tourbières et de les rendre particulièrement vulnérables aux incendies de manière générale. Leurs sols sont constitués de matières organiques qui se décomposent depuis des milliers d'années, et le processus d’oxydation issu de cette décomposition les rend encore plus inflammables.

L’oxydation génère du dioxyde de carbone (CO2), qui s’ajoute en cas d’incendie au dioxyde de carbone déjà dégagé par la fumée. Pour cette raison, les tourbières asséchées dans le monde représentent entre  5 à 6 % du total des émissions globales de gaz à effet de serre.

Images satellites et enquête de terrain  

Le cocktail explosif entre tourbières asséchées et défrichage par les flammes est à l’origine d’une des plus grandes catastrophes écologiques de l’histoire de l’Asie du sud-est :  en 2015,  des incendies massifs dans les tourbières indonésiennes avaient duré plusieurs semaines et généré une grave pollution atmosphérique, à l’origine de près de 100 000 décès prématurés en Indonésie, en Malaisie et à Singapour. 

Cette année encore, la Malaisie a accusé les incendies indonésiens d'être responsable de la dégradation de l'air sur son territoire.

Car malgré les incendies historiques de 2015, des terrains agricoles continuent d’être brûlés illégalement dans les concessions d’huile de palme, comme le montre le minutieux travail de documentation des ONG de défense de l’environnement comme Greenpeace Indonésie ou Pantau Gambut.

Pantau Gambut parvient à surveiller l’évolution et la nature des feux de forêt dans les concessions en combinant une carte publique recensant les feux en Indonésie, une analyse d’imageries satellites et un travail d’enquête sur le terrain.

Les données d'une carte réalisée par l’agence indonésienne d’innovation BRIN, leur permettent par exemple de recenser où se situent les départs de feu. Sur cette carte, on pouvait ainsi recenser 126 146 foyers entre le 1er juillet et le 3 septembre 2023, avec  27,5 % de ces foyers se trouvant dans des zones de concessions, selon Greenpeace Indonésie. 

Capture d'écran d'une carte réalisée par l’agence indonésienne d’innovation BRIN qui indique les points chauds en Indonésie lors des dernières 24 heures. (Ici en date du 20 octobre 2023). Les chercheurs des deux ONG, Greenpeace et Pantau Gambut, soulignent cependant à la rédaction des Observateurs de France 24 que ces données sont limitées, car elles émanent du gouvernement indonésien.
Capture d'écran d'une carte réalisée par l’agence indonésienne d’innovation BRIN qui indique les points chauds en Indonésie lors des dernières 24 heures. (Ici en date du 20 octobre 2023). Les chercheurs des deux ONG, Greenpeace et Pantau Gambut, soulignent cependant à la rédaction des Observateurs de France 24 que ces données sont limitées, car elles émanent du gouvernement indonésien. © BRIN

Pantau Gambut a identifié 675 départs de feu rien qu’en août 2023 dans une concession d’huile de palme appartenant à PT Mekar Karya Kahuripan, dans la province du Kalimantan occidental (île de Bornéo). L’entreprise a déjà été condamnée pour avoir défriché des terres en les brûlant.  

De nombreux départs de feux ont été identifiés dans une autre concession d’huile de palme,   PT Waringin Agro Jaya (WAJ), dans la province de Sumatra du Sud, elle aussi déjà accusée par le passé d’avoir brûlé des terrains pour défricher. Au point qu’en 2019, la Cour suprême indonésienne avait déclaré WAJ parmi les responsables des incendies de 2015.

Pour identifier les incendies s’apparentant à des défrichages, Pantau Gambut utilise l’imagerie satellite. Par exemple, l’image satellite ci-dessous montre une partie d’une même concession, appartenant à PT Mekar Karya Kahuripan, en 2019 et en 2023.

L’incendie se situe dans la province du Kalimantan occidental (Bornéo), sur une zone protégée.

En 2019, on peut observer que certaines zones ont été défrichées (en haut à droite) mais pas de trace d’incendie. 

En août  2023, une partie importante située cette fois au centre a été brûlée, comme l'indiquent les dégagements de fumée typiques des incendies au-dessus et autour de la zone.

On peut observer en outre sur la zone brûlée un quadrillage rectangulaire marqué qui correspond à des terrains agricoles en préparation pour être cultivés, comme le détaille un chercheur de l’ONG.

Des enquêtes sur le terrain permettent ensuite aux chercheurs de Pantau Gambut de vérifier ce qu’il est advenu des zones identifiées sur image satellites comme ayant été brûlées pour défricher.

la photo à droite montre des plantations en 2021 sur une tourbière qui avait brûlé en 2015 (la zone brûlée est indiquée en rouge).
la photo à droite montre des plantations en 2021 sur une tourbière qui avait brûlé en 2015 (la zone brûlée est indiquée en rouge). © Pantau Gambut
Par exemple, les images ci-dessus montrent que des plantations ont été réalisées sur des lieux identifiés comme ayant été brûlés lors des incendies de 2015. Alors que ces zones auraient normalement dû être restaurées par l’entreprise d’huile de palme, à la demande du gouvernement.

“Le fait qu’il y ait toujours des incendies montre bien que les concessionnaires n’ont pris aucune mesure”

Juridiquement, le rôle des concessionnaires dans les incendies ne s’arrête pas à cette méthode de défrichage illégal. 

En effet, la loi indonésienne rend les entreprises d’huile de palme strictement responsables des incendies sur leurs terres, même s'ils se déclarent jusqu’à 1 km de leur concession.  En juillet 2023, la Cour suprême indonésienne a condamné une entreprise d'huile de palme à payer l’équivalent de 57 millions d’euros pour avoir brûlé 2 560 hectares dans sa concession en 2018 et en 2019. 

En outre, après 2015, l’Indonésie a mis en place plusieurs lois et politiques pour préserver la tourbière et éviter les incendies sur les concessions. Depuis 2017 notamment, les entreprises d’huiles de palme jugées responsables de dommages sur les tourbières de leurs concessions doivent mettre en œuvre une stratégie pour les réhydrater.

Les associations peinent cependant à voir la mise en application de cet arsenal juridique, comme l’explique Abil : 

En réalité, l'application de la loi est très insuffisante. Le ministère de l'Environnement  poursuit des entreprises qui violent de cette loi et certaines d'entre elles ont été condamnées à une amende qui se compte en million d’euros, mais ces amendes sont souvent réduites, et il n’y a aucune transparence quant à savoir si les entreprises condamnées les ont bien payées ou non. 

Par exemple, nos équipes de recherche montrent qu'en août et septembre 2023, on recense de nombreux départs de feux dans une concession pourtant jugée responsable de feux en 2015 et 2019. 

C’est la même chose pour une autre concession appartenant à PT Waringin Agro Jaya (WAJ), qui avait été déclarée responsable des incendies de 2015 et condamnée à payer 28 millions d’euros.

Le fait qu’il y ait toujours des incendies montre bien qu’ils n’ont pris aucune mesure, au contraire. 

Et même s'il y a un boom de départ de feu dans les concessions ce mois-ci, et ce sont les données du gouvernement qui le disent, rien ne se passe.

Les manquements du secteur de l’huile de palme en matière de conservation de l'environnement, mais aussi de respect des droits humains ont déjà poussé des entreprises internationales à leur tourner le dos. C’est par exemple le cas de Kellogg’s qui est devenue la dixième entreprise agroalimentaire au monde à rompre ses liens commerciaux avec Astra Agro Lestari, le deuxième plus grand producteur d'huile de palme d'Indonésie.

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