Travailleurs des plateformes : La Commission affûte sa stratégie de négociations

Le commissaire aux Affaires sociales Nicolas Schmit, qui suit le dossier, devrait également s’opposer à certaines dispositions du texte du Conseil, en particulier en ce qui concerne la réduction du champ d'application de la présomption légale et les obligations de transparence pour les représentants des travailleurs des plateformes. [Julien Warnand/EPA-EFE]

Alors que les négociations interinstitutionnelles démarrent sur la directive sur les travailleurs des plateformes, la Commission européenne compte bien pousser en faveur de sa proposition de texte initiale, et se prépare à ferrailler notamment avec le Conseil de l’UE, selon les informations d’EURACTIV.

La directive sur les travailleurs des plateformes est une proposition législative visant à harmoniser la définition du statut contractuel des travailleurs des plateformes, telles Uber ou Deliveroo. Le dossier se trouve actuellement dans la dernière phase du processus législatif, ce que l’on appelle les trilogues, entre les États membres, le Parlement européen et la Commission.

Le Conseil des ministres de l’UE a adopté son mandat en juin après un an et demi d’âpres débats, tant les États membres étaient divisés au sujet du la présomption légale de salariat. Le Parlement avait quant à lui adopté son mandat en février.

Suite à un premier trilogue introductif mardi (11 juillet), EURACTIV a récolté des informations au sujet de la stratégie de négociation que la Commission a l’intention d’adopter dans les prochains mois, en tentant avant tout de trouver un accord final qui colle le plus possible avec la proposition initiale de directive.

Le commissaire aux Affaires sociales Nicolas Schmit, qui suit le dossier, devrait également s’opposer à certaines dispositions du texte du Conseil, en particulier en ce qui concerne la réduction du champ d’application de la présomption légale et les obligations de transparence pour les représentants des travailleurs des plateformes.

Travailleurs des plateformes : Les États membres adoptent une position commune

Les ministres du Travail de l’UE ont approuvé une approche générale de la directive sur les travailleurs des plateformes lundi (12 juin), marquant la fin d’un an et demi d’intenses négociations et ouvrant la voie à des négociations interinstitutionnelles avec la Commission et le Parlement européen.

Présomption légale de salariat

Au cœur des tensions politiques se trouve la création d’une présomption légale de salariat, qui requalifierait un travailleur des plateformes en salarié s’il remplit un nombre minimum de critères faisant état de sa subordination à une plateforme.

Le texte initial de la Commission plaçait le seuil de déclenchement de la présomption légale à deux critères sur cinq. Dans son mandat, le Parlement a élargi le champ d’application de la présomption en supprimant complètement les critères, mettant l’exergue sur le principe de réfragalité dont peuvent user les plateformes s’ils estiment qu’un travailleur requalifié est en réalité auto-entrepreneur dans les faits.

À l’inverse, le Conseil a augmenté le seuil de déclenchement à trois critères sur sept.

Selon les informations d’EURACTIV, la Commission cherchera à ramener l’attention sur son texte initial, ce qui signifie s’opposer à la formulation large du Parlement tout en évitant la réduction excessive du champ d’application de la présomption comme présentée par le Conseil. La Commission considère cette approche comme « équilibrée », selon des sources.

La Commission devrait également s’exprimer en faveur de la nouvelle formulation du Parlement sur les « mesures additionnelles » que les États membres doivent mettre en œuvre pour s’assurer que la présomption est effectivement appliquée. En revanche, les pays de l’UE ont complètement supprimé les références à ces mesures-là.

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Des collectifs de travailleurs des plateformes alertent sur les limites du cadre de dialogue social inscrit dans la loi française, et la volonté du gouvernement d’Elisabeth Borne de réduire à peau de chagrin le principe de présomption légale de salariat, au cœur d’une directive européenne.

Pas de clauses suspensives

La Commission devrait adopter une position ferme contre tout effort visant à suspendre ou à contourner l’applicabilité de la présomption légale. Contrairement au Parlement, le Conseil a introduit un nouveau texte qui crée des exceptions à la présomption, ce qui limiterait le champ d’application et l’efficacité de la directive.

Le mandat du Conseil exclut l’application de la présomption aux procédures fiscales, pénales et de sécurité sociale — à moins que le droit national n’en dispose autrement — et accorde aux États membres le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la présomption lorsqu’il est « manifeste » qu’elle sera réfutée.

Une nouvelle formulation controversée a également créé une exception si une plateforme remplissait un critère simplement en dehors de ses obligations nationales, auquel cas ce critère ne pourrait pas être considéré comme rempli pour déclencher la présomption.

Cet ajout, poussé par la France, s’est heurté à l’opposition véhémente du groupe « pro qualification », comprenant l’Espagne, les Pays-Bas et la Belgique, entre autres, et a conduit à une impasse de plusieurs mois.

Les informations recueillies par EURACTIV indiquent que la Commission s’opposera fermement à toute tentative de ramener les exceptions dans le dispositif du texte. Toutefois, elle est ouverte à un compromis entre les colégislateurs s’il se dessine.

Travailleurs des plateformes : huit pays membres appellent à une présomption salariale « efficace et forte »

Dans une lettre adressée au commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux, neuf ministres européens ont demandé « une présomption légale efficace et forte, mais réfutable » dans la directive sur les travailleurs des plateformes.

Gestion algorithmique

La gestion algorithmique sur le lieu de travail, le deuxième chapitre clef de la directive, a suscité moins de réactions politiques et la Commission semble globalement satisfaite des propositions du Conseil et du Parlement, dont les textes ne présentent pas de grandes différences.

La directive cherche à renforcer la compréhension par les travailleurs des plateformes de l’impact des algorithmes sur leur quotidien et à renforcer des mesures de transparence dans l’utilisation et l’application des algorithmes.

Le texte protège également de manière accrue les données personnelles des travailleurs des plateformes et garantit que toute décision « importante » prise sur la base de calculs algorithmiques — telle que le licenciement ou la rémunération — implique la participation d’un être humain.

Potentielle source de désaccord, le texte du Conseil limite la divulgation d’informations spécifiques aux algorithmes aux représentants des travailleurs des plateformes salariés. La Commission souhaite élargir le champ d’application à tous les travailleurs des plateformes, y compris les travailleurs indépendants.

Dans l’ensemble, il s’agira de protéger les droits des travailleurs tout en évitant de surcharger les plateformes, alors que le texte du Parlement prévoit généralement des obligations plus strictes pour ces dernières.

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Ce mercredi, une réunion des représentants permanents auprès de l’Union européenne abordera un nouveau texte de compromis, consulté par EURACTIV, concernant la directive sur les travailleurs des plateformes.

 

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