« Fortis et Liber », la devise claque sur les armoiries de l’Alberta. Forte, cette province de l’ouest canadien surnommée « Oilberta » l’est assurément de ses richesses naturelles. Dans le gisement de l’Athabasca au nord de son territoire, les immenses mines à ciel ouvert de sables bitumineux assurent 80 % de la production totale d’hydrocarbures du Canada. A Edmonton, capitale de la province, les raffineries des grandes compagnies pétrolières enfument la ville en assurant à leurs employés des salaires à six chiffres. Libre, la province ne l’est pas autant qu’elle le voudrait et ne cesse de revendiquer davantage d’autonomie. Depuis son rattachement tardif à la confédération canadienne en 1905 – le pays s’est constitué en 1867 –, l’Alberta n’en finit pas de souffrir d’un sentiment d’aliénation envers la puissance tutélaire fédérale. De façon épisodique, la province s’enflamme pour revendiquer une liberté accrue.
La dernière poussée de fièvre a été provoquée par la première ministre albertaine, Danielle Smith. Elue cheffe du Parti conservateur uni en octobre après la démission de son prédécesseur, et récupérant son fauteuil de chef de gouvernement, cette ancienne journaliste de 52 ans, soucieuse de complaire à la base la plus radicale de son électorat, a fait adopter le 7 décembre, une « loi sur la souveraineté de l’Alberta dans un Canada uni ». Cet acte législatif accorde à l’Alberta le pouvoir d’ignorer « les lois fédérales et les initiatives jugées contraires aux intérêts de la province ». Le Canada était habitué aux récurrentes velléités indépendantistes du Québec, le voici confronté à la rébellion de la troisième province la plus riche du pays.
Les juristes s’interrogent sur la constitutionnalité d’une mesure soustrayant la province à la loi commune canadienne. La première ministre albertaine refuse d’ailleurs de préciser dans quel cadre elle pourrait l’utiliser. Mais le signal envoyé est clair : que l’Etat fédéral se mêle ses affaires et ne vienne pas nuire à l’économie albertaine. « Le nœud historique de la confrontation entre Edmonton et Ottawa porte sur le contrôle des ressources naturelles, explique Frédéric Boily, professeur de sciences politiques à l’Université de l’Alberta. Celui-ci dépend du pouvoir des provinces, mais la politique environnementale relève du fédéral. L’Alberta avait déjà vécu comme un affront le fait de se voir imposer une taxe carbone [en 2021]. La politique de transition énergétique dans laquelle s’engage le gouvernement vient remettre de l’eau dans le gaz. »
Il vous reste 72.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.