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Conditions de travail atroces dans l'industrie de l'huile de palme

Des travailleurs, au milieu de fruits de palmiers à huile.

Des travailleurs dans une plantation de palmiers à huile de Sepang, près de Kuala Lumpur, en Malaisie.

Photo : Reuters / Samsul Said

Radio-Canada

Esclavage, travail des enfants, viols : l’industrie de l’huile de palme, écorchée ces dernières années pour les dommages environnementaux qu’elle engendre, repose sur l’exploitation de millions de travailleurs dans les coins les plus reculés de l’Asie, révèle une enquête approfondie de l’Associated Press.

Ces pratiques sont attribuables à des entreprises financées par les plus grandes banques du monde, comme JPMorgan Chase, Deustche Bank et Vanguard Group, et profitent à des géants mondiaux du commerce de détail, comme Unilever, L’Oréal, Nestlé et Procter & Gamble.

L’huile de palme est pratiquement impossible à éviter de nos jours. Déguisée sous quelque 200 noms, elle se retrouve dans environ la moitié des produits qui se retrouvent sur les étalages des marchés d’alimentation, et dans la plupart des produits cosmétiques.

Elle se trouve non seulement dans des produits alimentaires, mais aussi dans de la peinture, des panneaux de contre-plaqué, des pesticides, des pilules, de la nourriture pour le bétail, des biocarburants et même des désinfectants pour les mains, si populaires à l’heure de la pandémie de COVID-19.

L’enquête de l’Associated Press a été réalisée à partir d’entrevues effectuées auprès de 130 travailleurs anciens ou actuels provenant de huit pays, embauchés par une douzaine de compagnies ayant des plantations en Malaisie et en Indonésie, deux pays qui comptent pour 85 % du marché mondial, évalué à 65 milliards de dollars.

Presque tous avaient des plaintes à formuler au sujet des traitements subis. Certains disent avoir été trompés, menacés, retenus contre leur gré ou forcés de travailler pour rembourser des dettes insurmontables.

Certains ont payé jusqu’à 5000 $ US – une somme faramineuse dans des pays pauvres – pour obtenir leur emploi, et se retrouvent du coup endettés à long terme. Plusieurs se sont aussi fait saisir leur passeport par leur employeur pour les empêcher de quitter les lieux, un signe de travail forcé.

La demande pour l’huile de palme étant en hausse, les plantations peinent à trouver la main-d’œuvre nécessaire, de sorte qu’ils s’appuient de plus en plus sur des agences de recrutement, qui escroquent, avec la complicité de responsables locaux, des gens qui ne parlent souvent même pas la langue locale.

Parmi ces travailleurs se trouvent des Rohingyas, membres de la minorité musulmane au Myanmar, qui ont fui le nettoyage ethnique dans leur pays. Des pêcheurs qui se sont enfuis après des années d’esclavage sur des bateaux disent aussi avoir été embrigadés, parfois avec la coopération de policiers locaux.

Un homme utilise une perche pour faire tomber des fruits d'un palmier.

Un travailleur récolte les fruits d'un palmier à huile à Bahau, en Malaisie.

Photo : Reuters / LAI SENG SIN

Les journalistes d’Associated Press, qui taisent leurs sources pour des raisons de sécurité, disent avoir été eux-mêmes témoins de certains cas d’abus. Ils ont en outre passé en revue de nombreuses plaintes faites à des syndicats, ainsi que des vidéos et des photos prises en douce sur les plantations pour corroborer les témoignages recueillis.

Ils soutiennent en outre avoir vu de leurs propres yeux des migrants sans papiers et leurs enfants travailler dans des plantations. Des femmes travaillent gratuitement ou gagnent moins de 2 $ US l’heure, et certaines, dont des mineures, disent être victimes de harcèlement sexuel, voire de viols.

On travaille jusqu’à ce qu’on meure, a déclaré l’une de ces femmes, qui travaillait dans une plantation de Felda, une compagnie qui appartient au gouvernement malaisien.

Outre le Myanmar, les travailleurs interrogés provenaient de la Malaisie ou de l’Indonésie, mais aussi du Bangladesh, de l’Inde, du Népal, des Philippines et du Cambodge.

Malgré les dommages environnementaux bien documentés causés par les plantations d’huile de palme, les grandes banques continuent de financer leurs exploitants. Le marché a littéralement explosé en 20 ans, passant de 5 millions de tonnes d’huile récoltées en 1999 à 72 millions de tonnes aujourd’hui, selon le département américain de l’Agriculture.

Certaines banques investissent directement, mais ils utilisent de plus en plus des tiers, comme la banque malaisienne Malayan Bankin Berhad (Maybank). Cette dernière ne fait pas qu’offrir du capital aux exploitants, mais gère aussi le service de paye, imposant des déductions salariales parfois arbitraires, qui sont aussi un signe de travail forcé.

C’est le secret caché de l’industrie depuis des décennies, affirme Gemma Tillack du groupe américain Rainforest Action Network, qui a déjà dénoncé les conditions de travail abusives de l’industrie. Ça commence avec les banques. C’est leur financement qui rend ce système d’exploitation possible.

Selon Associated Press, des abus ont aussi cours sur des plantations, grandes ou petites, qui ont obtenu une certification de Roundtable on Sustainable Palm Oil (Table ronde pour de l’huile de palme durable), un organisme regroupant des exploitants, des acheteurs, des courtiers et même des organismes de surveillance environnementale.

Certaines de ces entreprises, qui arborent le logo de RSPO sur leurs produits, sont pourtant accusées de voler des terres à des populations autochtones et de détruire des forêts vierges abritant des espèces animales menacées, comme des orangs-outans.

Un travailleur utilise un outil pour lancer les fruits de palmiers à huile dans un conteneur bien rempli.

Un travailleur utilise un outil pour lancer les fruits de palmiers à huile dans un conteneur, dans la province indonésienne du Sulawesi occidental.

Photo : Reuters / Sahrul Manda Tikupadang/Antara Photo Agency

Le gouvernement malais et le groupe Felda n’ont pas répondu aux questions d’AP, mais le bras financier de l’entreprise, FGV Holding Berhad, dit travailler pour répondre aux plaintes des travailleurs, chercher à améliorer les pratiques de recrutement sur les plantations, et s’assurer que les travailleurs étrangers peuvent conserver leur passeport.

Le patron de l’Association malaisienne de l’huile de palme, Nageed Wahab, a balayé ces allégations du revers de la main. Elles sont toutes fausses, a-t-il dit.

L’Association de l’huile de palme indonésienne dit être à pied d’œuvre depuis cinq ans pour améliorer les conditions de travail depuis sur les plantations.

Un porte-parole du ministre indonésien de la Main-d’œuvre a pour sa part indiqué que les compagnies qui violent la loi sur des enjeux graves, comme le travail des enfants ou le refus de payer de travailleurs, affirme que les contrevenants s’exposent à des sanctions, dont la possibilité que leur plantation soit fermée.

Unilever, L’Oréal, Nestle et Procter & Gamble ont tous dit qu’ils ne toléraient pas les violations des droits de la personne, qu’ils enquêtent sur les allégations visant les compagnies qui font partie de leur chaîne d’approvisionnement et qu’ils agissent lorsque cela est justifié. Cela peut se traduire par des modifications demandées à des exploitants jusqu’à la suspension de leur relation d’affaires.

Deutsche Bank s’est contentée de dire qu’elle soutient les droits de la personne, Vanguard Group a indiqué qu’elle vérifie les compagnies qu’elle finance, tandis que JPMorgan Chase a refusé de répondre aux questions d’Associated Press. Maybank s’est dite surprise d’être critiquée pour son rôle dans cette industrie. Nous rejetons toute insinuation selon laquelle Maybank pourrait être impliquée dans des comportements non éthiques.

L'enquête d'Associated Press a été en partie financée par le McGraw Center for Business Journalism, associé à l'École supérieure de journalisme Newmark de l'Université de la Ville de New York (CUNY).

Avec les informations de Associated Press

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