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Réchauffement climatique

Financement des énergies fossiles par les banques françaises: les bons et les mauvais élèves

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Dans leur rapport annuel, plusieurs ONG analysent notamment les investissements de six banques français, avec BNP Paribas parmi les pires établissements des 60 étudiés. La Banque postale et le Crédit mutuel sont en revanche parmi les plus vertueux à travers le monde.
par Damien Dole et AFP
publié le 30 mars 2022 à 17h53

Les années se suivent et se ressemblent. Comme en 2020, les grandes banques françaises sont les premiers financeurs au niveau européen des énergies fossiles, selon le rapport annuel «Banking on Climate Chaos». Les sept ONG qui ont réalisé cette enquête estiment que les six banques françaises étudiées ont alloué 47 milliards de dollars auprès d’entreprises liées aux hydrocarbures l’an dernier.

Dans leur rapport, les ONG calculent tous les ans depuis l’accord de Paris signé en 2015 le montant du soutien des 60 plus grandes banques mondiales aux entreprises productrices de gaz, de pétrole et de charbon en compilant les prêts, mais aussi les émissions d’actions et d’obligations. Et la conclusion est sans appel, selon Louis-Maxence Delaporte, chargé de campagne à Reclaim Finance, l‘une des associations à l’origine du rapport : «La France est le premier financeur européen des énergies fossiles et le cinquième mondial en 2021.»

Parmi les six établissements hexagonaux notés, on relève une majorité de mauvais élèves (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société générale et BPCE), et deux entités sur la bonne voie (la Banque postale et Crédit mutuel).

La Banque postale et le Crédit mutuel ont zappé le charbon

Dans le détail, la Banque postale et le Crédit mutuel sont considérés comme des «leaders montrant l’exemple» dans l’exclusion des énergies fossiles, parmi les meilleurs élèves au monde, et d’assez loin. Que ce soit dans la faiblesse des financements opérés (respectivement) mais aussi dans les engagements et les actes.

La Banque postale obtient même la note maximale au sujet de leur «exclusion de toutes les entreprises listées parmi la Global Oil & Gas Exit List», cette base de données qui dresse l’activité et les plans d’investissement de 887 entreprises pétrolières et gazières mondiales. La Banque postale et le Crédit mutuel sont également les deux meilleurs élèves parmi les 60 banques étudiées concernant le financement de l’industrie du charbon.

Parmi les entreprises financées, la Banque postale n’en a soutenu que deux en 2021 : Engie (68,71 millions de dollars), détenue majoritairement par l’Etat français, et la Société d’infrastructures gazières (197,44 millions), entreprise d’investissement détenue par la Caisse des dépôts et CNP Assurances, détenue à 78,9% par la Banque postale, branche du groupe la Poste, lui-même détenu à 66% par… la Caisse des dépôts.

Et du côté du Crédit mutuel, après n’avoir financé aucune énergie fossile en 2020, elle n’a délivré «que» 13,59 millions de dollars, qui a reçu une somme quasi identique de sept autres banques du classement. Avec 397 millions «seulement» lors des six dernières années, elle est la 59e du classement, juste devant la Banque postale (423 millions).

BNP Paribas dans la «Dirty Dozen»

Ce qui est loin d’être le cas de la BNP Paribas, classée parmi la «Dirty Dozen», la «sale douzaine», qui sont les douze banques parmi les pires depuis l’accord de Paris en 2016. Déjà qualifié de «roi des hypocrites» dans le rapport de l’an dernier, BNP Paribas est la dixième dans le monde à avoir le plus financé les énergies fossiles, avec 141,61 milliards de dollars en six ans. Et, selon ce rapport, elle est même celle qui a le plus sponsorisé les projets dans l’Arctique et offshore à travers le monde.

Ce sont également ces deux secteurs qui plombent les chiffres de la Société générale (87,43 milliards) et du Crédit agricole (75,78 milliards). Rare bon point pour les quatre banques les plus mal notées : «Dès janvier 2022, elles ne financeront plus les projets dédiés et les entreprises dont la part d’hydrocarbures non conventionnels dans l’exploration et la production (pétrole de schiste, gaz de schiste et sables bitumineux) serait supérieure à 30% de leur activité», a écrit en octobre la Fédération bancaire française. Ce qui ne reste pas suffisant aux yeux des ONG, qui attendent des engagements encore plus ambitieux, au-delà du seul pétrole et gaz de schiste.

Quelles sociétés financées ?

Du côté des bénéficiaires des investissements provenant des banques françaises, BNP Paribas a majoritairement injecté des fonds dans les entreprises BP, ENI et Shell ces six dernières années. Mais, en 2021, la Saudi Arabian Oil Co est d’assez loin la plus financée par la banque française.

La Société générale et BPCE /Natixis sont, de leur côté, deux des trois banques qui financent le plus Farrington NV, un groupe domicilié à Curaçao, dont fait partie Trafigura, une boîte pétrolière qui a fait parler d’elle pour un désastre environnemental en Côte-d’Ivoire il y a une dizaine d’années. TotalEnergies, quant à elle, est financée en premier lieu par le Crédit agricole, ainsi que BNP Paribas.

Des chiffres «fantaisistes» ?

Si les investissements des banques françaises a chuté de 88 milliards de dollars en 2020 à 47 milliards en 2021, ce montant reste de 2% supérieur à celui estimé pour 2016, année de la signature de l’accord de Paris. Depuis l’adoption de cet accord, «on ne voit pas de baisse structurelle des financements : on ne peut pas acter le fait qu’il y ait un changement de stratégie de la part des banques», commente Louis-Maxence Delaporte. Les six banques françaises ont pourtant toutes pris en 2021 un engagement de neutralité carbone d’ici 2050.

De son côté, la Fédération bancaire française dénonce des chiffres «fantaisistes» mis en avant par les associations et assure qu’il «n’y a pas d’addiction aux hydrocarbures de la part des banques françaises». Elle rejette la logique d’exclusion «tous azimuts» des entreprises liées aux énergies fossiles et prône plutôt l’accompagnement des citoyens et des entreprises vers une économie moins carbonée.

«Les banques françaises se doivent de financer l’ensemble de l’économie qui aujourd’hui est carbonée», assure-t-elle, en ajoutant que les banques financent aussi «massivement les énergies renouvelables». Un «en même temps» qui convaincra difficilement les citoyens et associations écologistes.

Et dans le monde ?

Au niveau mondial, le rapport des sept ONG estime le montant des financements à 742 milliards de dollars en 2021, soit 1% de moins qu’en 2020 mais 2,5% de plus qu’en 2016. Quatre banques américaines (JP Morgan Chase, Wells Fargo, Citi et Bank of America) dominent le classement, avec JP Morgan Chase responsable à elle seule de 382 des 4 000 milliards investis par les banques dans les énergies fossiles. Des banques américaines qui sont également leaders du côté de la fracturation hydraulique, qui permet d’obtenir du gaz ou pétrole de schiste.

Leurs homologues chinoises financent en revanche à coups de centaines de milliards le secteur du charbon. La Chine est d’ailleurs le pays dont les entreprises sont le plus loin de remplir les objectifs de l’accord de Paris concernant le charbon. En six ans, douze banques du géant asiatique ont par exemple donné 18 milliards d’euros – sur les 23,8 milliards alloués par les 60 établissements bancaires au total – à China Energy, classée par le journaliste Mickaël Correia comme parmi les trois entreprises rejetant le plus de CO2 à travers le monde.

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