C'est une directive européenne qui pourrait faire tomber le modèle des plateformes numériques comme Uber et Deliveroo. Bruxelles a dévoilé le 9 décembre un projet qui entend encadrer le statut des travailleurs indépendants, pour mieux protéger ces derniers. Un "camouflet" pour les plateformes, a réagi la députée Leïla Chaibi qui bataille depuis plusieurs années pour qu’une "présomption de salariat" soit appliquée.
C’est un "coup de tonnerre", selon les mots la députée européenne (LFI) Leïla Chaibi. La Commission européenne a dévoilé le 9 décembre un arsenal de mesures visant à renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques comme Uber, Deliveroo ou Bolt. Ces travailleurs sont aujourd’hui 28 millions en Europe. Un chiffre qui devrait monter à 43 millions d’ici 2025. Or, parmi eux, 5,5 millions ne répondraient pas aux critères du statut d’indépendant. "Il s’agit d’une étape importante vers une économie numérique plus sociale", a défendu Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence. "Notre proposition de directive aidera les faux indépendants travaillant pour des plateformes à déterminer correctement leur statut professionnel et à jouir de tous les droits sociaux qui en découlent".


Concrètement, le projet de Bruxelles, qui doit encore être approuvé par les États et les eurodéputés, s’appuie sur cinq critères : le fait qu’une plateforme fixe les niveaux de rémunération, supervise à distance les prestations, ne permette pas à ses employés de choisir leurs horaires ou de refuser des missions, impose le port d’uniforme, ou encore interdise de travailler pour d’autres entreprises. Si au moins deux critères sont remplis, la plateforme serait "présumée" employeur, et devrait se soumettre aux obligations du droit du travail (salaire minimum, temps de travail, indemnités maladie, normes de sécurité, etc.) imposées par la législation du pays concerné.

"De l’esclavage moderne"


Un "camouflet" pour les plateformes, estime Leïla Chaibi. "Les plateformes se sont engouffrées dans la brèche du travail indépendant alors qu’elles ont une relation de subordination avec les livreurs", avance-t-elle. Payés à la course, des millions de livreurs se retrouvent en effet à prendre des risques inconsidérés pour honorer leurs commandes.


C’est ainsi que le journaliste Yann Voldoire a filmé, le 15 septembre à Montpellier, alors que le département subit des pluies historiques, un livreur portant un sac Uber Eats dont les roues du vélo sont à moitié immergées dans l’eau. De "l’esclavage moderne" pour l’eurodéputée LFI. "Trop longtemps, les plateformes ont réalisé d’énormes bénéfices en se soustrayant à leurs obligations fondamentales aux dépens des travailleurs, tout en assurant de façon mensongère qu’elles leur offraient le choix", estime Ludovic Voet, président de la CES (Confédération de syndicats européens).

Paris n’a pas la même vision


Mais Paris ne semble pas être au diapason de Bruxelles. Selon l’Agence Europe, le gouvernement français souhaiterait plutôt créer un nouveau statut qui permettrait aux travailleurs de conserver le statut d’indépendant tout en profitant d’une protection sociale plus forte. Un entre-deux que les Italiens ont mis en place via des conventions collectives qui garantissent notamment un salaire minium et une assurance.


D’autres pays sont allés beaucoup plus loin, remettant totalement en cause le modèle de ces plateformes. En Espagne et au Portugal par exemple, les plateformes sont désormais obligées de salarier leurs livreurs. Une décision qui a poussé Deliveroo a quitté le marché espagnol. L’Allemagne et la Belgique prennent aussi cette voie. Il semble difficile pour la France, qui va prendre la présidence de l’Union européenne en janvier, de ne pas s’aligner sur la Commission européenne alors qu’elle est le pays de l’UE qui compte le plus de plateformes. 
Marina Fabre Soundron @fabre_marina avec AFP
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