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Reportage

Marseille : un an après, visite à l’ancien McDo transformé en fast-food citoyen

Avec l’augmentation de la précarité causée par les crises sanitaires et économiques, l’ouverture du lieu de solidarité l’Après M dans un ancien restaurant grâce à la résistance des syndicats et des habitants est un soulagement pour le quartier populaire Saint-Barthélemy.
par Emilie Laystary, Interim à Marseille
publié le 12 février 2021 à 16h19

Sur le toit du restaurant, le nom «l’Après M» a été bricolé à partir des lettres qui composaient autrefois l’enseigne McDonald’s. La façade de l’ancien temple du fast-food, elle, est désormais peinturlurée de rose et de bleu. Comme un fier manifeste, cette nouvelle devanture laisse présager tout un programme pour le quartier populaire Saint-Barthélemy, dans le 14e arrondissement de Marseille.

Depuis une liquidation judiciaire opérée en décembre 2019 par McDonald’s France, qui a estimé que le restaurant n’était pas assez rentable, les locaux sont occupés par des anciens salariés en lutte et des habitants, qui parlent d’une «réquisition citoyenne». Ce matin, il faut vider une camionnette qui vient d’arriver avec des paquets de pâtes et préparer quelques colis pour les premiers bénéficiaires. En bientôt un an de fonctionnement, l’ancien McDo transformé en plateforme d’aide alimentaire a été fort sollicité durant les confinements et avec l’augmentation de la précarité. «Il y a une énergie folle ici. Entre les gens qui ont envie d’aider et ceux qui ont besoin d’aide, on voit que ce lieu comble un vide», lance Kamel Guemari, délégué syndical et figure de la lutte du «McDo de Saint-Barth», adossé à une voiture sur le parking. Pas loin, Hamid, un bénéficiaire qui a perdu son emploi non déclaré avec la crise sanitaire, raconte : «Je n’avais jamais été voir une banque alimentaire avant le Covid. Mais c’est devenu difficile de nourrir toute la famille.»

Point de passage pour Benoît Payan, José Bové et Jean-Luc Mélenchon

Pour passer à la vitesse supérieure, les «résistants du McDo» souhaitent désormais être propriétaires des locaux afin de créer un restaurant d’insertion et d’application et une plateforme d’accueil pour les associations. «Ça fait des mois qu’on a appris à travailler ensemble. On veut maintenant concrétiser notre action en disposant officiellement des lieux», explique Salim Grabsi, membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM), l’un des visages de l’initiative. L’air confiant, il rappelle que le 20 janvier, moins d’un mois après sa prise de fonction, le nouveau maire Benoît Payan est venu apporter son soutien à ce qui est devenu l’un des symboles de la lutte sociale dans les quartiers populaires – mais aussi une estrade politique qui a vu défiler ces dernières années José Bové comme Jean-Luc Mélenchon.

Après avoir aidé à remplir les frigos des familles au plus fort de la crise sanitaire, l’heure est aujourd’hui à la structuration du projet : «Devenir un tiers lieu oui, mais populaire», insiste Fathi Bouaroua, un ancien d’Emmaüs et de la Fondation Abbé-Pierre devenu une figure emblématique du monde associatif marseillais. L’homme est aujourd’hui président de l’Association de préfiguration d’un restaurant économique et social (il faut y lire le sigle «Après»), structure créée pour pouvoir envoyer des acteurs de la société civile à la table des négociations avec McDonald’s France.

«Un chantier d’insertion permanent»

Aujourd’hui, il y aurait deux scénarios pour que les bénévoles puissent disposer des lieux pour de bon : «Soit McDo sort par la grande porte en léguant le lieu à une fondation d’utilité publique, qui le récupérerait pour nous puis signerait une convention avec la société coopérative d’intérêt commun (SCIC) qu’on est en train de monter», explique-t-il, précisant d’ailleurs que l’opération ne serait «pas inintéressante pour McDonald’s France car défiscalisée. Soit ils décident de vendre le site. Auquel cas, la mairie de Marseille pourrait toujours le préempter.»

Et d’ajouter : «Nous souhaitons dès que possible réembaucher les 77 anciens salariés et en faire des encadrants. L’idée serait qu’ils et elles puissent former des jeunes au métier. Ces locaux seraient alors un chantier d’insertion permanent mais aussi un restaurant à prix préférentiels, et même gratuit pour les foyers sans ressources», détaille le président de l’association Après. Un tel lieu de sociabilité est très attendu, dans le quartier. «Avant, on allait au McDo pour boire un café ou profiter du Wifi pour faire des démarches administratives. Ça ferait du bien d’avoir un nouvel endroit pour se retrouver», commente Leïla, jeune bénéficiaire venue chercher quelques vêtements pour son fils.

A terme, il faudra bien sûr «veiller à ce que le projet ne soit jamais dévoyé». Pour cela, les murs doivent appartenir au plus grand nombre à travers une société citoyenne immobilière : «On proposera 100 000 parts à 25 euros, avec la possibilité de donner plus afin d’offrir des parts suspendues, comme les cafés suspendus, pour les gens du quartier.» Et de conclure, comme un vœu : «Ce lieu doit appartenir aux habitants, sans récupération politique ni intérêt autre que le leur.»

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