La Commission européenne est restée indifférente aux nombreuses critiques qui ont émané de toutes parts, et pas seulement des ONG environnementales, autour de l'inclusion du gaz et du nucléaire dans le projet de taxonomie verte, dont la version définitive a été présentée le 2 février. Ces énergies "de transition" sont considérées par Bruxelles comme permettant de lutter contre le changement climatique. La taxonomie doit permettre d'orienter les financements privés pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050. 

Fiasco, hold-up, écoblanchiment, fraude, greenwashing : voici comment de nombreux spécialistes qualifient le projet définitif de taxonomie verte présentée par la Commission européenne mercredi 2 février. Malgré l’appel d’investisseurs, de scientifiques, de députés européens, de think tanks et même de la Banque européenne d’investissement à ne pas inclure le gaz et le nucléaire dans la taxonomie, la Commission a gardé sa position, considérant que ces énergies "de transition" peuvent contribuer à la lutte contre le changement climatique, au risque de saper l’ambition environnementale de l’Union européenne.
"Ces dernières semaines, nous avons entendu le secteur financier, les scientifiques et les experts de la finance durable réclamer une taxonomie européenne fondée sur la science. Au lieu d’écouter, la Commission européenne a encore affaibli les critères. Étiqueter le gaz comme "vert" est de l’écoblanchiment. Le secteur financier a besoin de clarté : ce faible engagement sur le gaz sape toutes les ambitions de l’UE pour la taxonomie et conduira les investisseurs à rechercher des critères scientifiques plus fiables", a réagi Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat. "La seule chose pire que le greenwashing par des particuliers, c’est le greenwashing par des entités publiques et par la loi" renchérit Thierry Philipponnat, économiste en chef chez Finance Watch.

"On essaie de détourner des milliards d’euros qui étaient destinés aux renouvelables"


Ce projet de taxonomie verte doit aider à mobiliser des fonds privés vers des activités réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Il s’inscrit dans l’objectif de neutralité carbone de l’UE en 2050. Pour l’atteindre, Bruxelles juge indispensable une contribution du nucléaire, qui n’émet pas de CO2, et des centrales au gaz, moins émettrices que celles au pétrole ou au charbon. "Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de 30 ans pour y parvenir", a expliqué la commissaire européenne aux Services financiers, Mairead McGuinness, lors d’une conférence de presse. Une position soutenue par la France, et des pays d’Europe centrale, comme la Pologne ou la République tchèque, qui doivent remplacer leurs centrales à charbon très polluantes.  
Faire partie de cette classification permet une réduction des coûts de financement, cruciale pour les projets concernés et pour les États voulant les soutenir. Mais les opposants rejettent le gaz, énergie fossile émettrice de CO2, et le nucléaire, en raison de ses déchets radioactifs et du risque d’accident. Greenpeace a ainsi dénoncé "le plus grand exercice de greenwashing de tous les temps" et "une tentative de hold-up". "On essaie de détourner des milliards d’euros qui étaient destinés aux renouvelables", a affirmé Ariadna Rodrigo pour l’ONG.  

Un modèle à deux vitesses pour les investisseurs


Pour Sandrine Dixson-Decleve, vice-présidente du Club de Rome et membre de la plateforme consultative de la Commission européenne sur la finance durable – qui avait elle aussi rejeté l’inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie – le risque est de créer un "modèle à deux vitesses" pour les investisseurs. "Certains décideront de suivre des normes plus strictes telles que celles utilisées par la Banque européenne d’investissement" tandis que d’autres se contenteront de suivre la taxonomie en se prétendant "verts". "Non seulement cette proposition renforce l’écoblanchiment, mais elle évince les véritables investissements dans l’énergie verte", conclut-elle.
"Aucune institution financière sensée ne devrait utiliser cette loi pour prendre ses décisions en matière de finance verte, car elle s’exposerait toujours aux risques d’écoblanchiment, d’atteinte à la réputation, d’actifs bloqués, de verrouillage et de complications juridiques", complète Sébastien Godinot, économiste senior au WWF European Policy Office. L’exécutif fait valoir que le texte obligera les entreprises à déclarer l’ensemble de leurs activités gazières et nucléaires, permettant aux investisseurs qui le souhaitent de les exclure de leur portefeuille.  
Opposée au texte, l’Autriche a aussitôt annoncé qu’elle l’attaquerait devant la justice européenne et le Luxembourg s’est dit prêt à se joindre à cette plainte. Durant une période de quatre mois, le Parlement européen pourra rejeter le texte par un vote à la majorité simple. Le Conseil européen pourrait aussi théoriquement s’y opposer, à condition de réunir 20 États membres, ce qui paraît hors de portée.
Concepcion Alvarez @conce1

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