Conseils sur la stratégie vaccinale, l’éducation et les retraites : cinq minutes pour comprendre la polémique sur le cabinet McKinsey

Le prestigieux cabinet de conseil a été auditionné cette semaine au Sénat, qui voit d’un mauvais oeil son implication dans de nombreux gros dossiers du gouvernement.

Thomas London et Karim Tadjeddine ont été auditionnés au Sénat mardi 18 janvier. Captures d'écran Youtube / Public Sénat
Thomas London et Karim Tadjeddine ont été auditionnés au Sénat mardi 18 janvier. Captures d'écran Youtube / Public Sénat

    Il a chuchoté à l’oreille d’Emmanuel Macron pendant sa campagne de 2017. En temps de pandémie, il était là pour plancher sur la stratégie de vaccination du pays. Et récemment, il a aussi réfléchi à « l’évolution » du métier d’enseignant. Le tout en échange de grosses sommes. Le prestigieux cabinet de conseil McKinsey est sous le feu des critiques depuis l’audition, mardi, au Sénat, de deux de ses directeurs, qui ont peiné à justifier les importants contrats empochés ces dernières années auprès de l’État. En quoi consistaient ces contrats ? Que reprochent précisément les élus à ce cabinet ? On fait le point.

    D’où vient la polémique ?

    La polémique s’est cristallisée autour de l’audition de deux directeurs associés du cabinet McKinsey, Karim Tadjeddine (chargé du pôle Secteur public au bureau français de McKinsey) et Thomas London (en charge du pôle Santé publique), entendus au Sénat mardi 18 janvier. Le sujet de la commission d’enquête ? « L’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques ».

    Le cabinet de conseil, fondé aux États-Unis et présent dans une soixantaine de pays, a été missionné dans plusieurs gros dossiers du gouvernement, à grands frais. Un rapport de l’Assemblée nationale soulignait déjà qu’entre mars 2020 et février 2021, 11,35 millions d’euros avaient été dépensés par le ministère de la Santé auprès de sept cabinets de conseil, dont McKinsey, qui a perçu 4 millions d’euros de la part du ministère.

    Quel genre de contrats ont été décrochés par McKinsey ?

    McKinsey a notamment été très mobilisé en temps de pandémie. En 2021, Le Canard Enchaîné, Politico, Le Point et Mediapart avaient ainsi révélé que plusieurs cabinets de conseil, dont McKinsey, Accenture et JLL Consulting, avaient été sollicités par le gouvernement pour des conseils sur la campagne de vaccination qui venait de se lancer. Les contrats étaient particulièrement importants : McKinsey a reçu 2 millions d’euros mensuels pour sa prestation, et Accenture 1,2 million d’euros mensuels.

    Dans le détail, McKinsey, a notamment perçu 605 000 euros pour la création d’une « tour de contrôle stratégique » à Santé publique France, et 170 000 euros pour le placement d’un agent de liaison de McKinsey auprès de Santé publique France, chargé de coordonner la logistique vaccinale, a souligné le Sénat.

    Une autre facture adressée au ministère de l’Éducation nationale a fait particulièrement polémique ces derniers jours. Pour 496 800 euros, McKinsey a été chargé d’évaluer « les évolutions du métier d’enseignant » et d’organiser un séminaire pour « réfléchir aux grandes tendances et aux évolutions attendues du marché de l’enseignement », a expliqué Karim Tadjeddine face aux sénateurs.

    Mais, comme le révèle France info ce vendredi, le séminaire prévu par le cabinet n’a pas eu lieu à cause de la pandémie. Une note de 200 pages a été tirée de ces recherches, mais cette note n’a pas vraiment été exploitée par la suite, selon plusieurs sources de France info.

    Avant la pandémie, en 2019, McKinsey a également perçu 920 000 euros pour une prestation auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, afin d’appuyer la préparation d’une potentielle réforme des retraites - un sujet majeur et particulièrement sensible du quinquennat Macron. Cette mission « a permis de dégager un certain nombre d’aménagements dans l’organisation, au-delà de la préparation d’une réforme », a résumé Thomas London face aux sénateurs.

    Que reprochent les Sénateurs au cabinet ?

    Le Sénat reproche à McKinsey d’être très impliqué dans des missions de coordination, de conseil ou d’organisation au sein de l’État, pour des contrats à plusieurs centaines de milliers d’euros. Ces cabinets ne sont pas eux-même mis en cause mais le choix d’y recourir, alors que plusieurs de ces missions auraient pu être menées en interne, dérange les élus. « Ne pensez-vous pas qu’il y a au sein de notre administration des fonctionnaires qui pourraient assurer cette mission ? », a ainsi demandé la sénatrice communiste et rapporteure de la commission Éliane Assassi, à Karim Tadjeddine, au sujet du fameux « agent de liaison » avec Santé publique France. « Oui », a-t-il répondu.

    Interrogé sur le rôle de McKinsey lors de la campagne de vaccination anti-Covid, Thomas London a défendu des « travaux de coordination extraordinairement intenses » : « Il faut avoir en tête que concevoir une telle infrastructure opérationnelle dans des délais aussi courts, c’est un enjeu auquel une administration n’est confrontée que de manière très épisodique », a-t-il ajouté.

    Le Sénat a également évoqué des soupçons de proximité entre le cabinet et les équipes d’Emmanuel Macron. En 2017, plusieurs salariés de McKinsey auraient épaulé le candidat lors de sa campagne électorale, selon une enquête du Monde parue en 2021. Karim Tadjeddine était lui-même visé par les Macron Leaks : son adresse e-mail professionnelle a été retrouvée dans les multiples communications révélées illégalement dans l’entre-deux tours de 2017. Le directeur associé de McKinsey a également participé au livre « L’État en mode start-up » (dont Emmanuel Macron a signé la préface), coordonné par Thomas Cazenave, aujourd’hui délégué interministériel à la transformation publique (DITP), la structure qui a elle-même mandaté McKinsey pour certaines missions.

    Que répond le cabinet ?

    Les dirigeants du cabinet McKinsey assurent avoir seulement mené des actions de logistique, de coordination et/ou de « benchmarking », soit de comparaison avec d’autres institutions publiques dans le monde. En clair : ils nient avoir pris des décisions politiques ou stratégiques. « Nous n’avons pas eu de rôle dans la définition de la stratégie vaccinale. Les choix tels que qui vacciner, dans quel ordre, ceux sur le passe vaccinal, les actions de communication : tous ces éléments-là étaient exclus de notre périmètre d’intervention », a assuré Thomas London.

    Pour Karim Tadjeddine, l’implication d’un cabinet privé dans des travaux de l’Etat est même normale : « le conseil au secteur public est maintenant une pratique courante (…), notamment en Allemagne, au Royaume-Uni ou dans les pays scandinaves », a-t-il déclaré. « Nous avons codifié l’ensemble de nos engagements dans un code de conduite, et défini des règles d’intervention spécifiques pour intervenir dans le secteur public. »

    Comment réagit le gouvernement ?

    Pour l’instant, le gouvernement n’a réagi qu’au volet financier de la polémique. Interrogée à son tour par la commission d’enquête jeudi dernier, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique Amélie de Montchalin a assuré qu’en 2022, les dépenses de conseil des ministères baisseraient « d’au moins 15 % ».

    Cette diminution se limitera au périmètre « de la transformation et de la stratégie », a-t-elle défendu. « Le but, c’est que nous puissions avoir cette même logique sur d’autres segments de conseil, notamment informatique et numérique », a-t-elle indiqué. Sur la période 2018-2020, 145 millions d’euros annuels ont été dépensés par les ministères en conseil, toujours selon la ministre.