AGRICULTURENos importations de soja encore trop liées à la déforestation au Brésil

Environnement : Des importations françaises de soja encore trop liées à la déforestation au Brésil

AGRICULTUREL’ONG internationale Mighty Eart publie en ce début de semaine les premières données de son outil de surveillance de la déforestation liée à la culture du soja au Brésil. Parmi les négociants mal classés : Bunge et Cargill, qui exportent beaucoup en France
Des moissonneuses-batteuses récoltent du soja dans une ferme à Campo Novo do Parecis, à environ 400 km au nord-ouest de la capitale Cuiaba, dans le Mato Grosso, au Brésil, le 27 mars 2012.
Des moissonneuses-batteuses récoltent du soja dans une ferme à Campo Novo do Parecis, à environ 400 km au nord-ouest de la capitale Cuiaba, dans le Mato Grosso, au Brésil, le 27 mars 2012. - YASUYOSHI CHIBA / AFP / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • En 2018, la France a importé 1,5 million de tonnes de soja, essentiellement pour l’alimentation animale. Sur ce total, 60 % provenaient du Brésil, où cette culture est l’un des facteurs de la déforestation, en particulier dans la savane du Cerrado.
  • Quelle part de ces importations sont liées à la déforestation ? C’est ce qu’a cherché à savoir l’ONG Mighty Earth, qui a retracé les cas de déforestation légaux et illégaux dans les principales exploitations brésiliennes et est remonté jusqu’aux négociants.
  • Parmi les mauvais élèves : les multinationales américaines Bunge et Cargill, qui exportent beaucoup en France. Mighty Earth et l’association Canopée appellent alors les importateurs français de soja à se responsabiliser.

Marseille, Lyon et Toulouse réunies. C’est l’équivalent de cette superficie qu’auraient déforesté, depuis mars 2019, les grandes exploitations de soja brésiliennes travaillant avec la multinationale américaine Bunge, poids lourd dans le commerce mondial de cette matière première agricole. Et premier importateur en France avec 612.000 tonnes expédiées en 2018.

Le calcul est de Mighty Earth. L’ONG internationale de protection de l’environnement a publié lundi les premiers résultats de son outil de surveillance de la déforestation liée au soja et au bétail au Brésil.



Le Cerrado en première ligne

Un fléau auquel la France contribue. Le soja est la première matière agricole importée dans le pays. Nous en avons fait venir pour 1,5 million de tonnes en 2018. « A 90 %, ce soja est utilisé pour l’alimentation animale, détaille Nico Muzi, directeur « Europe » de Mighty Earth. Pour nourrir les poulets surtout, mais aussi les porcs, les vaches laitières et, dans une moindre mesure, les bœufs. » Et sur ces 1,5 million de tonnes, 60 % viennent du Brésil, où la culture de soja gagne sur les espaces naturels.

La première à en faire les frais n’est pas tant l’Amazonie. En 2006, les grands négociants brésiliens de soja se sont engagés à exclure des circuits commerciaux tous les fournisseurs qui auraient cultivé du soja sur des parcelles récemment déboisées dans cette région. « Depuis, la culture du soja s’est déportée dans le Cerrado, une région de savane arborée, bien moins protégée, raconte Nico Muzi. C’est pourtant la plus grande savane tropicale du monde. Un trésor de biodiversité avec 10.000 espèces de plantes et une riche faune (dont le jaguar). » Plus de la moitié de cet écosystème a déjà été défrichée pour faire place à la culture du soja et à l’élevage du bétail et le grignotage continue, déplore Mighty Earth. Selon l’agence spatiale brésilienne (INPE), la déforestation de la forêt tropicale amazonienne a atteint son plus haut niveau en douze ans. « Mais dans le Cerrado, la cadence est bien plus élevée encore », assure Nico Muzi.

Bunge et Cargill parmi les mal classés

Pour mesurer les impacts de l’économie du soja sur les forêts brésiliennes, Mighty Earth, aidé par l’organisme de recherche Aidenvironment, s’est d’abord appuyé sur les alertes de déforestations des agences gouvernementales brésiliennes basées sur les images satellites. « Puis on a croisé ces données avec celles du cadastre des grandes exploitations de soja brésiliennes et les informations de l’équipe locale de Mighty Earth, poursuit Nico Muzi. Ensuite, nous sommes remontés jusqu’aux négociants qui s’approvisionnent dans ces exploitations. Négociants que nous avons enfin contactés pour vérifier nos informations lorsqu’ils acceptaient de nous répondre. »

Il en ressort, pour chaque exportateur de soja, une note sur 100. Elle prend en compte à la fois le nombre de cas de déforestation repérés [légaux et illégaux] dans les fermes auprès desquelles il se fournit, la transparence dont il a fait preuve lorsque Mighty Earth l’a contacté et, enfin, les efforts fournis pour diminuer les déforestations liées au soja qu’il achète.

Résultats : L’Américain Bunge, dont on parlait au début, est parmi les exportateurs les plus mal classés avec une note de 31/100, juste devancé par Cargill (25/100), autre mastodonte dans le négoce mondial de soja. Cet autre acteur nord-américain a exporté un peu plus de 200.000 tonnes de soja vers la France en 2018, soit 13 % du total cette année-là.

Responsabiliser les entreprises françaises ?

Ces mauvaises notes s’expliquent en partie par les volumes importants de soja que ces deux sociétés commercent. Mais pas seulement. « C’est aussi en partie lié aux régions du Brésil dans lesquelles elles sont implantées, précise Klervi Le Guenic, chargée de campagne à Canopée, association qui œuvre à une meilleure protection des forêts dans le monde. Cargill et Bungie ont ainsi le gros de leurs infrastructures dans Matopiba [contraction de plusieurs noms d’Etats : Maranhao, Tocantins, Piaui et Bahia au nord-est du pays]. C’est dans cette région que l’extension de la culture du soja est la plus forte. La surface lui étant dédiée a triplé entre 2000 et 2014, et 63 % de cette expansion s’est faite au détriment de la végétation naturelle. »

Si ce premier rapport note les négociants, c’est bien l’ensemble de la filière du soja que souhaitent responsabiliser Mighty Earth comme Canopée-Forêts vivantes. A commencer par les entreprises françaises qui importent cette matière agricole. De la grande distribution aux entreprises de la viande comme le groupe agroalimentaire LDC, leader européen de la volaille (Le Gaulois, Maître Coq, ou encore Marie), le groupe laitier Lactalis, en passant par les chaînes de restauration rapide.

« Des engagements "zéro déforestation" mais non concrétisés »

En novembre dernier, les principales enseignes de la grande distribution ont fait un premier pas en s’engageant à mettre fin au soja issu de déforestation dans leurs chaînes d’approvisionnement. Il reste à suivre, dans le temps, le respect de ces engagements. « C’est une très bonne nouvelle, ça lance le mouvement, estime Klervi Le Guenic. Il faut désormais que les autres importateurs français de soja suivent, en particulier le secteur de la volaille. » Canopée a lancé ce lundi une pétition invitant LDC à revoir sa chaîne d’approvisionnement.

Cela ne veut pas dire qu’il faut tourner le dos au soja brésilien. Ni Canopée, ni Mighty Earth ne le demandent. « Il y a au Brésil, y compris dans le Cerrado, des millions d’hectares de terres qui ont d’ores et déjà déforestées, mais malgré tout non utilisées car jugées dégradées, explique Nico Muzi. On préfère gagner de nouvelles surfaces cultivables sur les forêts plutôt que de les restaurer. C’est ça le problème aujourd’hui. » « La plupart des négociants ont déjà pris des engagements "zéro déforestation", mais sans les concrétiser, complète Klervi Le Guenic. Peu ont défini par exemple une "cut-off date", pourtant primordiale. Il s’agit d’une date limite de déforestation que ces négociants prendraient en compte dans leurs approvisionnements en soja. En clair, ils s’engageraient à ne pas acheter du soja provenant d’une parcelle déforestée après cette date. »

C’est toute la demande alors de Canopée aux importateurs français de soja : « qu’ils poussent leurs négociants à concrétiser leurs engagements ou s’approvisionnent chez d’autres plus vertueux », souligne Klervi Le Guenic.

Sujets liés