En image : la déforestation délocalisée de l’Europe

La FAO estime la perte actuelle de forêts à 10 millions d’hectares tous les ans, soit une superficie de la taille du Portugal. [Rich Carey_SHUTTERSTOCK]

Parmi les sujets abordés ce lundi 16 novembre par les ministres européens de l’Agriculture, l’un d’entre eux fait l’objet de débats houleux : la politique forestière. Par leurs modes de vie, les Européens contribuent à une déforestation massive au niveau mondial.

Le « pacte vert » européen dévoilé en grande pompe en décembre dernier aura marqué les esprits tant son objectif est ambitieux :  faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat d’ici 2050. Si l’initiative a été saluée, reste à voir comment l’exécutif européen le mettra en pratique. Parmi les nouvelles mesures à adopter, l’une d’entre elles est particulièrement attendue : la « stratégie forestière de l’UE post-2020 » que la Commission européenne devrait présenter d’ici début 2021.

Les ministres européens de l’Agriculture, réunis ce lundi, se sont penchés sur cette question. Suite à l’adoption récente de leurs conclusions sur les forêts, ils ont invité la Commission européenne a présenté une « stratégie forestière renforcée », dont l’impact se ferait sentir en Europe et à l’international. Car la question des forêts est hautement transfrontalière. Dans son rapport 2020 sur la situation des forêts dans le monde, la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, rappelle que plus de la moitié des forêts se trouvent dans seulement cinq pays : Brésil, Canada, Chine, États-Unis et Russie.

Responsable en dehors de ses frontières

Leur diversité et leur richesse font de ces écosystèmes des milieux très convoités. Tandis que le commerce du bois explose, que les terres sont défrichées pour l’agriculture, les zones forestières ne cessent de se rétracter. La FAO estime la perte actuelle de forêts à 10 millions d’hectares tous les ans, soit une superficie de la taille du Portugal.

Si les forêts tropicales sont les plus menacées, l’Europe n’est pas étrangère à ce déboisement. L’UE est responsable de près de 10 % de la destruction des forêts dans le monde. Viande, produits laitiers, soja, caoutchouc, huile de palme : autant d’aliments consommés quotidiennement pour des millions d’Européens sont produits au détriment des écosystèmes forestiers.

Selon la FAO, l’agriculture productiviste reste l’une des principales causes de ce phénomène. L’organisation onusienne estime qu’entre 2000 et 2010 « l’agriculture commerciale à grande échelle est responsable de près de 40 % de la déforestation dans le monde tropical », via notamment l’élevage de bétail et la culture du soja et la production d’huile de palme.

L’exemple français

L’ONG française Envol vert est arrivée au même constat. Dans son rapport 2018 sur l’Empreinte forêt des Français, l’ONG cite, dans l’ordre, le soja, le cuir, l’huile de palme, le papier, le café, l’hévéa, le cacao puis le bois comme les principaux éléments pouvant conduire au déboisement. Selon leurs estimations 2018, un Français grignoterait en moyenne 352 m2 de forêt chaque année pour subvenir à ses besoins.

Face à cet enjeu, le Haut conseil pour le climat a tout récemment recommandé au gouvernement français d’accélérer la stratégie de lutte contre la déforestation importée, car « si les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national sont en baisse, les émissions importées sont en augmentation continue », note l’organisme en charge d’évoluer les politiques environnementales dans son dernier rapport.

Un chantier européen

Le compte-rendu du Haut conseil pour le climat est clair sur ce point : la lutte contre la déforestation importée se jouera avant tout à un niveau européen. Différentes instances ont d’ailleurs commencé à plancher sur le sujet. Outre les ministres du Conseil de l’UE, le Parlement européen a sommé le 22 octobre dernier la Commission européenne de présenter un cadre juridique européen pour mettre fin à la déforestation mondiale provoquée par l’Union européenne.

« Aucune règle de l’UE n’interdit la mise sur le marché européen de produits qui ont contribué à la destruction des forêts », explique Éric Andrieu, vice-président socialiste du groupe S&D et membre de la commission de l’environnement, dans un communiqué. Ce dernier espère que des sanctions seront introduites « pour les entreprises qui mettent sur le marché européen des produits dérivés de matières premières mettant en danger les forêts et les écosystèmes ».

La balle est désormais dans le camp de la Commission européenne, qui devrait présenter prochainement sa nouvelle stratégie forestière de l’UE. Pour l’heure, elle mène une consultation publique sur la déforestation jusqu’au 10 décembre prochain. La campagne #Together4Forests, menée par près de 150 ONG, encourage justement les Européens à répondre à cette consultation : « Il faut que la Commission européenne propose une nouvelle législation », martèle Anke Schulmeister-Oldenhove, responsable de la politique forestière au bureau de la politique européenne du WWF lors d’un entretien pour Euractiv France. « Si un maximum de personnes répond à la consultation, l’UE n’aura plus d’autre choix que de prendre des mesures ambitieuses contre la déforestation, la dégradation de la biodiversité et pour la protection des droits humains. » Depuis le 3 septembre dernier, date de son ouverture, la consultation a enregistré près d’un million de réponses. Il s’agit, selon le WWF, de la deuxième consultation publique de l’UE ayant reçu le plus de contributions.

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