Allemagne. L’empereur de la viande dont les usines sont des bouillons de Covid

Clemens Tönnies, devenu milliardaire grâce à un système de surexploitation de la main-d’œuvre immigrée, est confronté à l’indignation et aux colères qui enflent après les décisions de reconfinement autour de ses boucheries.

Son histoire ressemble à ces contes de fées qu’aiment à raconter les chargés de communication du monde capitaliste. Clemens Tönnies, à l’origine un modeste boucher-charcutier, est passé en quelques décennies de la firme artisanale héritée de ses parents à une multinationale de la production de viande qui emploie quelque 16 500 personnes en Allemagne et dans le monde. Jusqu’à ce que le coronavirus lève le rideau sur l’envers du décor. Surexploitation des salariés, des migrants venus d’Europe de l’Est, et absence de respect des règles d’hygiène, y compris des recommandations les plus élémentaires sur les conditions de travail durant la pandémie.

Plus de 1 500 salariés testés positifs au virus

L’empereur de la bidoche, dont la fortune personnelle est évaluée à 2 milliards d’euros, est aujourd’hui au cœur d’un scandale qui ébranle la société et fait quasiment la une de tous les journaux outre-Rhin. L’une de ses plus grandes usines, un gigantesque abattoir couplé à une boucherie industrielle située à Rheda-Wiedenbrück, dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est devenu un foyer de contamination majeur, centre d’un super retour de flamme d’une épidémie plutôt moins mal maîtrisée jusqu’ici par le pays que par ses voisins européens. Plus de 1 500 salariés sur la chaîne de production de viande de l’usine mammouth du groupe (6 600 employés) y ont été testés positifs. Au point que l’usine a dû être fermée et que les 600 000 habitants de deux arrondissements (Kreise) alentour ont dû être à nouveau confinés. Restaurants, bars, écoles, piscines, tout a dû à nouveau être bouclé.

Principal allié du virus : les conditions de vie comme de travail des personnels. Clemens Tönnies a d’abord essayé de s’en défendre, comme il le fit à chaque fois que l’on a regardé d’un peu trop près sa méthode d’exploitation de la main-d’œuvre. Avant d’être contraint de se répandre en vagues excuses quand les preuves sont devenues trop accablantes.

Lire aussi : Pourquoi les abattoirs sont-ils des nids à Covid ?

Le secret du succès en affaire et donc de la fortune du patron de la multinationale tient en une expression : les contrats à la tâche (Werkverträge). Son groupe sous-traite à des entreprises de main-d’œuvre, basées le plus souvent en Roumanie, des pans entiers du travail effectué dans ses boucheries industrielles. Un moyen d’échapper aux accords tarifaires de branche, aux protections sociales et aux rémunérations légalement négociées avec les syndicats. Une myriade de sous-traitants prend en charge les migrants venus d’Europe de l’Est, leur rémunération au lance-pierre, assortie d’un accès à un hébergement sur place. Dans ces dortoirs sordides où ils s’entassent à quatre ou cinq par pièce sur des lits superposés, la promiscuité est maximale, et les conditions d’hygiène sont délétères, un cocktail qui fait de ces chambrées indignes un bouillon de culture idéal pour le coronavirus.

Un notable qui joue de ses réseaux

Tönnies est devenu une des personnalités les plus en vue de la région. Lui qui a pris la présidence du conseil d’administration du club de foot professionnel de Gelsenkirchen, Schalke 04, est devenu un véritable notable du Land, qui a pu jouer de ses réseaux au sein des Partis chrétien démocrate (CDU) et social-démocrate (SPD). Une sorte d’assurance sur tous les aléas politiques qui avait contribué jusqu’alors à sa tranquillité. Bien que la sordide réalité des conditions de vie dans ses usines à viande et de leurs contrats à la tâche ait été à plusieurs reprises dévoilée par des investigations de la presse au cours des deux dernières décennies, Tönnies parvenait toujours à sauvegarder le système Tönnies. Celui qui lui permettait de jouer d’une concurrence libre et bien faussée pour prendre toujours plus de poids grâce au relais des champions allemands du discount, Lidl ou Aldi, en chasse de prix toujours plus écrasés.

Cette fois, cependant, la sortie de scandale s’annonce plus difficile à négocier pour le milliardaire et pour ses sbires, les patrons des firmes de main-d’œuvre sous-traitantes, que les salariés et les habitants des environs observaient régulièrement paradant à bord de luxueuses berlines. Face à l’indignation suscitée dans l’opinion, le gouvernement de grande coalition (CDU/SPD) d’Angela Merkel a annoncé l’élaboration d’une loi, qui doit être votée d’ici au début de l’an prochain. Elle viserait une restriction, voire une interdiction des « contrats à la tâche », ces piliers du cartel de la viande de Clemens Tönnies.

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