L’arrêt de mort d’un pesticide prend rarement la forme d’une réglementation européenne. C’est ainsi, pourtant, que le chlorpyrifos devrait bientôt disparaître. La Commission européenne s’apprête à demander aux Etats membres de voter l’interdiction de cet insecticide au dossier scientifique fort chargé. Mais, alors que les données démontrant son extrême toxicité pour le cerveau du fœtus et du jeune enfant s’accumulent, les fabricants font pression sur les autorités pour prolonger son existence légale, comme le montrent des documents que Le Monde s’est procurés. L’autorisation du chlorpyrifos dans l’Union européenne (UE) arrive en effet à échéance le 31 janvier 2020.
A la tête de cette opération de lobbying, le groupe américain Corteva, entité née de la fusion de Dow, inventeur du produit, et de DuPont. « La réglementation ne doit pas se fonder sur une pression publique provoquée par des militants qui n’ont pas confiance dans le système réglementaire légal, mais sur des preuves solides », ont argué les représentants de la firme auprès des responsables du dossier à la Commission qu’ils ont rencontrés en janvier, indique un compte-rendu interne de la direction générale de la santé.
Si les « militants » des ONG sont en effet très actifs, ils ne représentent pas des voix isolées. La communauté scientifique, elle aussi, s’inquiète depuis plus de quinze ans des effets délétères du chlorpyrifos sur le cerveau en développement (ou toxicité neurodéveloppementale).
En 2006, au moment même où l’UE donnait son feu vert à l’insecticide pour dix ans, une étude conduite par l’Université de Columbia (Etats-Unis) montrait qu’une exposition prénatale au chlorpyrifos entraînait d’importants retards de développement. Troubles du spectre autistique, déficits de quotient intellectuel (QI) allant jusqu’à sept points, troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité : désormais, tout un corpus d’études décrit la vaste gamme d’affections touchant les enfants exposés au chlorpyrifos ou à ses cousins de la famille des organophosphorés pendant leur vie fœtale ou juste après la naissance. Une équipe internationale de chercheurs a estimé que, chaque année, l’exposition aux pesticides organophosphorés cause 59 300 cas de déficience intellectuelle et oblitère 13 millions de points de QI en Europe.
Anomalies majeures
L’ONG Pesticide Action Network (PAN) Europe juge « préoccupant qu’il ait fallu attendre d’avoir une quantité écrasante de preuves démontrant la toxicité des insecticides à base de chlorpyrifos pour le cerveau des enfants avant que la Commission européenne ne propose une interdiction ».
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