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Libération
Récit

Privatisation : après les autoroutes, les aéroports de Paris ?

Actuellement discutée au Sénat, la privatisation d’ADP fait face à une opposition échaudée.
par Christophe Alix
publié le 31 janvier 2019 à 20h26

Le débat s'annonçait agité et il l'est. La question de la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP), prévue dans le projet de loi Pacte, actuellement discutée au Sénat, divise sur deux points cruciaux : comme avec les autoroutes, l'Etat serait-il en train de vendre la poule aux œufs d'or, même si la vente de ses 50,9 % dans ADP pourrait rapporter jusqu'à 10 milliards d'euros ? Est-il d'autre part raisonnable de céder au secteur privé un actif qui constitue, via les deux portes d'entrée dans l'Hexagone que sont Roissy et Orly, «la première frontière de la France avec l'étranger et un enjeu vital et quotidien de sécurité nationale» ? Plusieurs experts s'en inquiètent dans une tribune parue dans le Monde de vendredi.

«Rente financière»

C'est Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, majoritaires au Palais du Luxembourg, qui a sonné la charge. Il a indiqué jeudi que son groupe, joignant ses voix à celle de la gauche déjà opposée au texte, s'opposerait à la privatisation d'ADP. «Moi qui suis un libéral, je considère que privatiser un monopole, c'est donner indûment une rente financière au privé», a-t-il expliqué jeudi en rappelant le précédent des autoroutes. «On a vendu les bijoux de famille, on a fait un coup, et puis plus rien», a-t-il fait valoir, arguant que, dans le cas d'ADP, les dividendes perçus par l'actionnaire public (200 millions d'euros estimés pour 2018) lui assuraient «un flux de revenus au cours du temps». La privatisation des autoroutes «n'a pas été une bonne chose, a-t-il conclu, on n'a plus les moyens de financer les infrastructures». Le président (LR) de la commission des Finances de l'Assemblée, Eric Woerth, a lui aussi fait part de ses doutes car ADP est «une très grande infrastructure, majeure dans notre pays».

Même si l'Assemblée, qui a approuvé le texte en première lecture en octobre, aura le dernier mot, Bruno Le Maire a cherché à rassurer les sénateurs. Le ministre de l'Economie a assuré que le gouvernement ne referait pas «les mêmes erreurs» qu'avec les autoroutes en 2006. Il a rappelé que l'Etat garderait le contrôle sur l'évolution des redevances aéroportuaires versées par les compagnies - au premier rang desquels Air France - ainsi que sur le foncier qu'il doit récupérer au terme d'une concession de soixante-dix ans. En revanche, juge-t-il, le rôle de l'Etat «n'est pas de gérer les hôtels et les boutiques de luxe du groupe ADP. Ce n'est pas ma conception de l'Etat».

«Prix minimum»

De fait, la majorité des profits en forte hausse d'ADP (571 millions d'euros en 2017) provient des activités commerciales très lucratives qui ne cessent de progresser en phase avec la hausse du trafic aérien. Mais si l'Etat actionnaire est amené à tirer demain plus de revenus d'ADP, ne serait-ce pas une erreur de s'en séparer ? «Il faut que l'Etat fixe un prix minimum et renonce si ce n'est pas atteint», assurait début novembre devant une commission du Sénat l'expert en finances publiques François Ecalle, qui a longtemps travaillé à la Cour des comptes. Si la régulation est très stricte aujourd'hui dans la loi Pacte, personne ne sait ce qui se passera dans dix ans. Le cahier des charges sera renégocié… et celui qui détient le contrat est toujours en position de force…»

Interrogé jeudi sur BFM Business, Xavier Timbeau, de l'OFCE, estime pour sa part très délicate la question de la privatisation d'infrastructures comme les aéroports : «Ce sont à la fois des services publics et des centres commerciaux. Assurer la rentabilité de ces activités implique nécessairement de faire des choix stratégiques, et cela ne fonctionne pas toujours très bien, comme on l'a vu à Toulouse» : partiellement privatisé en 2015 au profit d'investisseurs chinois, ce qui devait devenir un hub pour les touristes asiatiques est aujourd'hui un échec. Son conseil est clair : «La doctrine de l'Etat n'est pas bien établie sur ces questions, d'où les risques de malentendus.» Pas sûr, à cette aune, que la privatisation d'ADP, fût-ce au profit d'un groupe industriel français comme Vinci, soit une décision bien mûrie. Même si les 10 milliards que rapporterait l'opération iront vertueusement au financement d'un fonds pour les innovations «de rupture».

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