L’abonnement à l’Humanité que vous ne regretterez jamais !

J'en profite

Pas de majorité pour le Tafta ? Le vote repoussé

Le Parlement européen devait s’exprimer aujourd’hui sur le marché transatlantique. Face à la fronde, le président de l’assemblée de Strasbourg a décidé de repousser le vote. Au cœur des enjeux, l’avenir des services publics.

Publié le 10 juin 2015

Strasbourg, envoyé spécial. C’est un fonds britannique contrôlant l’entreprise de distribution d’eau de Tallinn qui porte plainte contre l’Estonie et obtient des dommages et intérêts pour avoir été empêché d’augmenter les tarifs. C’est un géant néerlandais des assurances qui, fâché de n’avoir pu distribuer des dividendes avec les profits réalisés en Slovaquie, fait saisir 30 millions d’actifs slovaques au Luxembourg. C’est un groupe d’énergie suédois, propriétaire d’une centrale à charbon à Hambourg, qui s’en prend, avec succès, à l’Allemagne pour n’avoir pas été autorisée à rejeter toutes ses eaux usées dans l’Elbe. C’est un monde où les bénéfices des multinationales prévalent décidément sur l’intérêt général et le service public. Mais, avec ses « tribunaux » privés d’arbitrage mis en place par des accords de libre-échange, ce monde-là se trouve aujourd’hui de plus en plus contesté. La preuve au Parlement européen, avant la mobilisation de Guéret (Creuse) en fin de semaine : ce mercredi matin, les députés européens débattent d’une série de « recommandations » adressées à la Commission européenne, qui négocie avec les États-Unis un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Au centre de toutes les attentions, à Strasbourg, les mécanismes d’arbitrage privé qui, consacrés par le traité en gestation – le fameux Tafta (ou Ttip, en anglais), sous couvert de régler les différends, permettent aux multinationales d’imposer leurs lois aux États. Preuve que ce traité est une matière explosive, le vote prévu aujourd’hui a été reporté à plus tard. Les partisans du traité craignent de ne pas recueillir la majorité nécessaire à l’approbation de la résolution. « Si nous obtenions une majorité là-dessus, ça serait un pas décisif dans toute négociation », considérait avant la décision du report du vote, Helmut Scholtz, eurodéputé allemand au nom du groupe GUE-NGL, où siègent les élus Front de gauche.

Des bonnes paroles qui ne parviennent guère à convaincre

Derrière cet épouvantail, une nouvelle attaque de grande ampleur contre les services publics se profile. Certes, depuis des mois, la Commission européenne répète qu’ils ne sont absolument pas concernés par le Tafta. « Les accords commerciaux entre l’Union européenne et les États-Unis n’entravent aucunement la capacité des administrations d’adopter ou de maintenir des dispositions assurant une qualité de service élevée et de préserver des objectifs d’intérêt public importants », écrivent par exemple les deux négociateurs en chef. Cette promesse a été relayée hier matin par le social-démocrate allemand Bernd Lange, rapporteur du texte en assemblée plénière. « Les services sensibles ne pourront être ouverts à la concurrence, a-t-il expliqué devant la presse. En Europe, nous avons cette tradition de voir des services prestés dans l’intérêt du public et nous ne voulons pas qu’ils disparaissent à cause d’un traité comme le Tafta. » Toutes ces bonnes paroles ne parviennent guère à convaincre. « La Commission ment », lâche platement l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot. L’accord de libre-échange conclu il y a quelques mois avec le Canada (Ceta) pousse déjà à de nouvelles libéralisations. Et toute la méthode à l’œuvre dans les discussions opaques autour du Tafta a de quoi inquiéter fortement.

Pour déterminer les secteurs économiques concernés par le futur traité transatlantique, la Commission européenne met en place la procédure dite de la liste négative : dans cette approche qui n’a été modifiée qu’à la marge après le passage dans les commissions du Parlement européen, tous les services peuvent potentiellement être privatisés, sauf ceux qui sont explicitement écartés dans le texte de l’accord. Un renversement radical par rapport à une logique qui verrait l’Union européenne spécifier, au contraire, les secteurs qu’elle est prête à ouvrir à la concurrence, et seulement ceux-là ! Dans la même veine, une clause en discussion dans le Tafta entend rendre irréversibles les libéralisations déjà effectuées afin d’empêcher tout retour au public : impossible dans ces conditions de remunicipaliser la gestion de l’eau, sous peine d’enfreindre les dispositions de l’accord transatlantique !

Face à cette offensive, le syndicalisme monte au front pour défendre l’eau, la santé, l’éducation, les services sociaux et tous les services publics. Les fédérations européennes des services publics (Epsu) et de l’éducation (Etuce) demandent vigoureusement aux parlementaires européens de sortir les services publics du champ du Tafta. « Nous vous demandons de rejeter le principe de la liste négative sous toutes ses formes », interpellent les secrétaires généraux des deux fédérations syndicales. « C’est aux électeurs de décider ce qui doit être, ou non, un service public, à travers leurs gouvernements élus démocratiquement », ajoute Frances O’Grady, la secrétaire générale de la confédération britannique TUC.

Le Parlement européen a une occasion de lever toute ambiguïté sur les services publics. Parmi les quelques amendements déposés sur cet aspect, les groupes Verts et GUE-NGL, où siègent les élus Front de gauche, proposent conjointement une approche avec une liste « positive » délimitant précisément les services concernés par le Tafta ainsi qu’une garantie « horizontale » permettant aux autorités de reprendre le contrôle sur les services publics déjà libéralisés. La mobilisation citoyenne autour du Tafta continue de croître. La pétition portée par les mouvements sociaux dépasse désormais largement les 2 millions de signatures.

Les arguties de la présidence du Parlement. Le président du Parlement Martin Schulz a décidé hier de repousser le vote de la résolution sur le traité transatlantique, prévu aujourd’hui. Les eurodéputés ne pourront donc que débattre. La présidence du Parlement argue du nombre important d’amendements, plus de 200. C’est la preuve que le sujet est controversé. Dans les faits, le risque était grand pour le texte de ne pas rassembler de marjorité. Les Verts et la Gauche unitaire européenne se sont prononcés contre. Les socialistes européens se sont montrés divisés, les Français penchant pour le « non ». Il s’agit d’une « première victoire pour les mouvements », selon Amélie Canonne, d’Aitec. Yannick Jadot, député EELV a dénoncé une « crapulerie » et Patrick Le Hyaric (Front de gauche), une « manipulation ».

 

Les mots-clés associés à cet article


à lire aussi

Libre-échange La France renâcle devant les discussions entre l’UE et les États-Unis

Monde

Publié le 15.04.19 à 00:00

La Cour de justice de l’UE doute des tribunaux arbitraux

Monde

Publié le 12.03.18 à 00:00

Photo AFP.

Europe : pas d’accords commerciaux sur le dos des citoyens !

Monde

Publié le 17.05.17 à 00:00

Vidéos les plus vues

Morts au travail, l'Humanité lance une vigie

Publié le 26.04.24 à 15:25

Le non désir d’enfant, un choix comme un autre

Publié le 25.04.24 à 09:48

Raser des arbres pour faire voler des avions

Publié le 22.04.24 à 17:13