Vittel bientôt à sec ?

Le niveau de la nappe phréatique de Vittel, largement exploitée par Nestlé Waters, baisse. La ville devrait bientôt capter son eau potable ailleurs. L’entreprise promet des efforts.

 Les associatifs, Jean-François Fleck, Bernard Schmitt, Auguste Mathieu (de gauche à droite), accusent Nestlé Waters et son PDG d’épuiser leur eau.
Les associatifs, Jean-François Fleck, Bernard Schmitt, Auguste Mathieu (de gauche à droite), accusent Nestlé Waters et son PDG d’épuiser leur eau. LP/Olivier Arandel

    Sous les cerisiers d'un coquet jardin de la commune de Vittel Jean-François Fleck président de Vosges nature environnement, raconte comment l'eau qui court sous ses pieds est l'enjeu de batailles enragées. « Dans les sous-sols de Vittel, Contrexéville, Bulgnéville, la nappe phréatique accuse un déficit de 800 000 m3 par an. La faute à Nestlé Waters, qui a les marques Vittel, Hépar, Contrex », estime-t-il.

    L'ancien élu Vert au conseil régional de Lorraine, surveille le niveau des eaux souterraines depuis 1996. Or ce niveau a déjà baissé de 10 m. En fait, quatre associations de consommateurs et environnementales (Association pour la sauvegarde des vallées et la prévention des pollutions, Oiseaux Nature, UFC-Que choisir et Vosges Nature Environnement) accusent la multinationale d'épuiser leur eau.

    «Comme un verre d'eau avec plusieurs pailles»

    Jeudi le PDG de la multinationale de l'eau, Maurizio Patarnello, était sur place pour annoncer qu'il ferait certifier Vittel et les 94 autres sites du groupe avec un standard qui intègre des ONG comme le WWF et Alliance for Waters Stewardship.

    Certes, mais pour le déficit d'eau dans la nappe d'eau potable de Vittel ? Sourire charmant et petites lunettes dorées, il concède : « Pas de doute, il y a des problèmes de durabilité dans cet aquifère. Il nous faut les régler tous ensemble. C'est comme un verre d'eau avec plusieurs pailles : si chacun se préoccupe uniquement de sa paille, on ne s'en sort pas. »

    Pour sa part, Nestlé Waters a déjà consenti des efforts en réduisant ses prélèvements de 20 % depuis dix ans et a annoncé l'année dernière qu'elle allait réduire volontairement ses ponctions de 25 % des quotas qui lui sont alloués.

    De l'eau puisée pour l'export

    Maurizio Patarnello tenait surtout à rassurer les médias (et les consommateurs) allemands. L'eau qui pose problème, en effet, est commercialisée sous l'étiquette Vittel (Bonne Source), une eau non minérale essentiellement destinée au marché allemand.

    C'est subtil, mais en France nous consommons de l'eau appelée Vittel (Grande Eau), qui provient d'un forage des couches supérieures. Le forage de la discorde pompe la même eau que celle que l'on retrouve dans les canalisations de la petite bourgade de Vittel et des collectivités voisines.

    Teint hâlé et verbe haut Bernard Schmitt, de l'association Oiseaux Nature, s'emporte : « Le préfet a autorisé que Nestlé Waters s'approprie notre eau en cédant au chantage à l'emploi. La multinationale prend la ressource de la population locale. » L'usine de la ville emploie 1 000 personnes.

    Construire des kilomètres de tuyaux

    Comment expliquer que le forage assèche ainsi la ressource ? Les ballons des Vosges ne sont pourtant pas les dunes du Sahara. Dans les sous-sols de l'est de la France, il y a de l'eau en quantité. Mais la nappe des grès du Trias inférieur très profonde, et donc avec une eau très pure, se recharge très, très lentement à cet endroit. Pour faire simple, une faille isole cette petite partie sud-est du réservoir sous terrain.

    Résultat, les communes de Vittel, Contrexéville, Bulgnéville (10 200 habitants) vont devoir construire des kilomètres de tuyaux pour acheminer de l'eau venue de la nappe voisine. Le 15 mars une réunion du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) planifiait très officiellement différentes possibilités pour approvisionner les communes voisines avec entre 15 km et 48 km de tuyaux, selon le scénario choisi. Un surcoût de 30 centimes à 1 euro par mètre cube d'eau. À la charge des consommateurs ? Pas sûr, Nestlé, qui paie déjà 14 millions d'euros de redevance annuelle en France, pourrait décider de mettre la main à la poche.

    « Ce n'est pas une solution, tonne Bernard Schmitt, nous souhaitons que Nestlé cesse de surexploiter la nappe pour qu'elle se régénère. » Auguste Mathieu, président du syndicat voisin de l'eau d'Ableuvenet, s'inquiète : « Nestlé Waters a prévu de mettre un nouveau forage avec environ 1 million de m3 pour alimenter en eau les habitants de Vittel ! » Il craint surtout qu'on ne fasse que déplacer le problème sous les terres de ses abonnés.

    Vittel, ou la guerre de l'eau