Sciences / Économie

Bayer-Monsanto, une menace pour la santé publique?

Outre un possible problème d'image, la fusion annoncée entre les géants Bayer et Monsanto va déséquilibrer un peu plus les rapports de force entre les industries de l’agrochimie et la militance écologiste. Faute d’une expertise scientifique indépendante, c’est une menace pour la santé publique.

Patrick Pleul / dpa / AFP
Patrick Pleul / dpa / AFP

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L’ogre chimio-pharmaceutique allemand Bayer va-t-il avaler le monstre américain Monsanto et ses semences génétiquement modifiées? L’appétit du premier vis-à-vis du second s’est officiellement affiché lundi 23 mai pour le plus grand délice de la presse économique internationale. Bayer affirme être prêt à mettre sur la table 62 milliards de dollars, soit environ 55 milliards d’euros.

Ce serait la plus grosse acquisition jamais réalisée par une entreprise allemande. Ce serait aussi, assurent les spécialistes, la plus grosse opération de fusion-acquisition annoncée cette année dans le monde. Ce serait, enfin, la naissance gargantuesque d’un  géant mondial producteur de pesticides, engrais et organismes génétiquement modifiés; le triomphe, diront les Verts, d’une chimio-agriculture planétaire source, d’innombrables méfaits sanitaires présents et à venir. La gloire assurée du Roundup et des végétaux transgéniques.

Concentrations capitalistiques

La lecture capitalistique de cette possible fusion est assez simple. «Cette transaction représente une énorme opportunité pour les actionnaires de Monsanto», assure ainsi  Werner Baumann qui vient d’arriver à la tête de Bayer. La firme allemande, en proposant 122 dollars par action Monsanto, leur laisse une prime de 37% par rapport au cours de début mai. Le massage à peine délivré l’action Monsanto a pris plus de 6% à l’ouverture à New York. Le nouveau patron de Bayer a aussi dévoilé qu’il existait, entre les deux groupes, des discussions depuis plusieurs années. La dynamique des fusions-acquisitions a, ici comme ailleurs, quelque chose d’épidémique.

«Face à des prix faibles des matières premières, le secteur mondial de la chimie est agité par une consolidation à grande échelle, explique Les Echos. Les américains Dow Chemical et DuPont sont en passe de convoler, le chinois ChemChina rachète le suisse Syngenta, un temps courtisé par Monsanto.

Déjà très lourdement endetté, Bayer se dit pourtant “hautement confiant” dans sa capacité à financer un tel rachat, en alourdissant encore sa dette et en faisant racheter certaines de ses actions. En avalant Monsanto, Bayer espère réaliser, au bout de trois ans, environ 1,5 milliard de dollars d’économies et enregistrer une hausse de son bénéfice par action d’environ 5% la première année et d’au moins 10% les suivantes.»

L'épouvantail Monsanto

Mais on peut aussi faire une autre lecture. Le développement considérable de la chimie appliquée au monde agricole (engrais, produits phytosanitaires) et, plus encore, l’application des techniques de manipulation génétique au végétal («OGM») suscitent une inquiétude croissante quant aux perturbations environnementales et aux conséquences sanitaires. C’est évidemment à cette aune que l’on peut expliquer le développement constant de l’appétit pour les aliments étiquetés «bio» élaborés en marge de la chimie dominante et tenus pour être «meilleurs» car «moins nocifs» pour la santé. À dire vrai ce sont là des choix plus basés sur des convictions que sur des démonstrations scientifiques –les allégations publicitaires surfant sur des craintes assez souvent irrationnelles.

Bayer assure qu’il saura gérer la mauvaise réputation de Monsanto et assure que ce rapprochement est justifié par un défi: «nourrir une population mondiale en croissance»

De ce point de vue, la fusion Bayer-Monsanto, «géant mondial des engrais, des pesticides et des OGM», apparaît aussi comme un mariage d’image à très haut risque. Monsanto est depuis plus d’une décennie la cible constante des organisations écologistes qui dénoncent la nocivité de ses produits et la mainmise de cette firme sur des  pans entiers de l’agriculture dans le monde développé ou pas.

Née avec le XXe siècle aux États-Unis, Monsanto est aujourd’hui l’une des entreprises qui cristallise les peurs et les haines écologistes. Initialement productrice de plastiques (polystyrènes), elle s’est ensuite spécialisée dans les biotechnologies agricoles, son célèbre Roundup et ses OGM. Pour sa part Bayer, né en Allemagne dans les années 1860, riche d’un long passé chimique et pharmaceutique, a vu son image très largement altérée du fait des ses pesticides comme le Gaucho accusé de détruire des myriades de colonies d’abeille.

Les déséquilibres de l'expertise

Dans ce contexte le nouvel ensemble apparaîtra aux yeux des écologistes comme un conglomérat hautement nocif réunissant deux producteurs, américain et européen, de «poisons pour l’environnement». En retour, Bayer assure qu’il saura gérer la mauvaise réputation de Monsanto et assure que ce rapprochement est justifié par un défi: «nourrir une population mondiale en croissance».

Mais ce rapprochement aurait aussi une autre conséquence: il aggraverait, au bénéfice de l’industrie, le déséquilibre de l’expertise scientifique. Seule une expertise indépendante est de nature à préciser ce qu’il en est, objectivement et sur le long terme, des impacts environnementaux et sanitaires. Or, cette expertise, quand elle existe, est assurée par des agences publique de sécurité sanitaire dont la méthodologie et les experts sont contestés par les associations écologistes –associations qui ne disposent ni des moyens ni des compétences pour assurer cette expertise. Cette situation est à l’origine de polémiques récurrentes entre les deux camps; polémiques amplifiées par la gestion à court terme du politique à l’écoute des lobbies et des courants d’opinion.

Le dossier du Roundup de Monsanto est, de ce point de vue exemplaire. Cet herbicide, commercialisé depuis quarante ans, a été cœur de la triste affaire Séralini, du nom d’un biologiste français militant qui, en 2012, a mis en scène une démonstration expérimentale de sa nocivité. Aujourd’hui, l'Union européenne (UE) n'est toujours pas parvenue à un accord sur la prorogation de l'autorisation de sa commercialisation. Il n’existe aucune lecture commune des dangers sanitaires de ce produit de Monsanto. La Commission européenne doit faire avec des divergences nationales, l’Italie et la France  faisant valoir qu’aucune décision ne pouvait être prise en l'absence d'une étude claire de l'Agence européenne sur les produits chimiques (ECHA) dont les conclusions se font attendre.

J’ai déjà interdit la vente du Roundup en libre-service pour les jardiniers amateurs et son utilisation par les collectivités

Ségolène Royal

Un sujet très politique

Sans attendre Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, a imposé ses convictions. «J’ai déjà interdit la vente du Roundup en libre-service pour les jardiniers amateurs et son utilisation dans les espaces publics par les collectivités dans la loi de transition énergétique», vient-elle de rappeler. «Pour moi, le fondement de la prise de décision est et demeure le jugement des scientifiques», a estimé, pour sa part, Christian Schmidt, ministre allemand de l'Agriculture.

«Ensemble [avec Monsanto], nous allons puiser dans l'expertise collective des deux groupes pour construire un leader de l'agriculture avec des capacités d'innovation exceptionnelles pour le bénéfice des agriculteurs, des consommateurs, de nos employés et des communautés dans lesquelles nous opérons», explique Werner Baumann, patron de Bayer. Cette profession de foi réclame, en toute logique, l’organisation d’un contre-pouvoir, non pas militant mais scientifique au service de la santé publique: l’organisation d’une expertise véritablement indépendante à la fois des lobbies et de croyances.

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