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Apple choisit une ONG controversée pour défendre ses sous-traitants iPhone

La protestation contre les conditions de travail des sous-traitants d'Apple renvoie au mouvement des années 1990 qui visait Nike ou Adidas.

Par Damien Leloup

Publié le 15 février 2012 à 07h53, modifié le 16 mars 2012 à 16h32

Temps de Lecture 5 min.

Des ouvriers de l'usine du fabricant taïwanais Foxconn à Shenzhen, où a eu lieu une série de suicides au printemps 2010.

Il n'aura pas fallu vingt-quatre heures pour que les premières critiques tombent. Lundi 13 février, Apple avait annoncé que la Fair Labor Association (FLA), une ONG basée aux Etats-Unis, allait débuter des inspections dans la principale usine de son sous-traitant Foxconn, en Chine. Une réponse directe aux critiques récurrentes sur la manière dont sont traités les salariés chinois fabriquant les iPhones et autres iPads de l'entreprise, peu après la publication d'une enquête du New York Timeset l'essor d'une pétition en ligne signée par plus de 200 000 personnes, demandant au géant des technologies de changer sa politique concernant les conditions de travail de ses sous-traitants.

Mais mardi, plusieurs ONG – dont Change.org, qui avait soutenu la pétition en ligne – critiquaient dans Wired le choix de la FLA, accusant l'organisation de manquer d'efficacité et d'être engoncée dans des conflits d'intérêts. "La FLA n'a pas un bilan très brillant concernant ses inspections", note dans le magazine Wired l'un des responsables de Sumofus.org, une ONG qui avait lancé une importante campagne de protestation contre Apple.

Au cœur des reproches adressés à la FLA se trouve son mode de fonctionnement. Lancée dans la foulée d'une initiative du président américain Bill Clinton, la FLA associe en effet les industriels aux militants : son conseil d'administration est composé à parts égales de représentants de l'industrie, de responsables associatifs et de représentants d'universités. Le Worker Rights Consortium, une autre association américaine, lui reprochait d'avoir choisi un code de conduite trop limité, qui ne comportait pas à l'origine d'engagements sur les droits des femmes – un manquement comblé depuis (PDF). D'autres organisations critiquent le choix de la FLA de ne pas rendre publique la liste des usines inspectées, à la demande des industriels, ce qui, avancent-elles, complique singulièrement leur travail de vérification.

INSPECTIONS SUR DEMANDE

La FLA n'est pourtant pas un simple paravent. L'ONG est dirigée par Auret van Heerden, un militant sud-africain torturé et incarcéré en raison de son engagement contre l'apartheid. L'ONG conduit chaque année plus d'une centaine d'inspections et publie tous les ans des rapports d'activité. Mais elle ne détaille pas pour quelle entreprise travaillaient les usines prises en flagrant délit de non-respect de son code – et si elle procède à des inspections-surprises, la plupart de ses enquêtes de terrain sont réalisées à la demande des entreprises, qui souhaitent s'assurer que leurs fournisseurs respectent les accords conclus.

C'est dans le cadre de ces "inspections sur commande" que les inspecteurs de la FLA ont commencé, lundi, leur visite à Foxconn. "Nous avons demandé à la FLA d'évaluer de manière indépendante la performance de nos plus gros sous-traitants", avait déclaré dans un communiqué, lundi, le PDG d'Apple, Tim Cook. "Ces inspections sont sans précédent dans le secteur de l'électronique, à la fois par leur ampleur et leur périmètre, et nous apprécions que la FLA ait accepté de déroger à sa règle et de nommer les usines concernées dans son rapport", se félicitait-il.

Tout juste un mois plus tôt, le 13 janvier, Apple avait annoncé une autre première : l'entreprise devenait la "première entreprise de l'électronique à rejoindre les rangs de la FLA". Apple s'engageait ainsi à respecter le code de l'organisation. Mais si l'entreprise est la première société du secteur des nouvelles technologies à rejoindre la FLA, ce n'est pas tant parce que le reste du secteur n'est pas impliqué dans la question des droits des travailleurs, mais parce que la FLA, comme la plupart des autres ONG américaines du même type, est née des suites d'un mouvement politique qui concernait… les équipementiers sportifs.

TRAVAIL DES ENFANTS ET BASKETS

A la fin des années 1990, les campus américains se passionnent pour la question de la sous-traitance : des reportages dévoilent les conditions de travail honteuses chez les sous-traitants qui fabriquent des baskets pour les géants du secteur. Or, Nike ou Adidas disposent d'accords de promotion avec la plupart des universités américaines : ces marques sponsorisent les équipes universitaires de basket-ball ou de football américain, et en échange peuvent afficher leur logo sur les uniformes et dans les stades.

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Des groupes d'étudiants y voient un moyen de pression idéal pour forcer les géants du sport à améliorer leurs pratiques et organisent des campagnes de boycott, font circuler des pétitions, organisent des sit-in… La United Students Against Sweatshops (USAS, Union des étudiants contre les sweatshops) obtient un écho national, et parvient à fédérer plus de 250 universités qui acceptent de soutenir sa plateforme – axée notamment sur l'interdiction du travail des enfants. L'USAS participera ensuite à la création du Worker Rights Consortium.

En parallèle, les équipementiers réagissent… Et participent à la création de la FLA, ce qui explique pourquoi les autres organisations la considèrent avec une grande méfiance ; des représentants d'Adidas et de Nike siègent toujours aujourd'hui au conseil d'administration de la FLA. Mais malgré la volonté affichée des équipementiers de mettre fin aux mauvais traitements des employés de leurs sous-traitants en Chine, au Vietnam ou en Indonésie, la marge de progression est encore élevée. La presse américaine et l'USAS se font régulièrement l'écho de licenciements abusifs, de refus de primes de licenciement ou de conditions de travail illégales chez des sous-traitants des équipementiers sportifs.

Cet héritage historique des usines de baskets reste très présent au sein de la FLA. Au sortir de sa première inspection des usines Foxconn, mercredi, le président de la FLA a estimé que les conditions de travail étaient "très au-dessus de la moyenne chinoise". Il s'est aussi étonné des différences qu'il a constatées avec les usines textiles : "j'ai été très supris, lorsque j'ai visité l'usine, de voir combien elle était calme par rapport à une usine de vêtements (...). Les risques principaux ne semblent pas être l'intensité et la pression que l'on ressent dans une usine de vêtements. Ils portent plus probablement sur la monotonie, l'ennui, ou peut-être l'aliénation", a-t-il déclaré.

Puissant et bien organisé, le mouvement anti-sweatshops continue de peser dans la vie politique américaine, mais restait, jusqu'à récemment, très concentré sur les producteurs de matériel sportif. Mais si le mouvement s'est symboliquement emparé des baskets dans les années 1990 – un objet que possédaient tous les étudiants – il se tourne de plus en plus vers Apple : outre l'omniprésence des iPods et iPhones dans les chambres d'étudiants, la marque à la pomme partage, avec Nike et Adidas, l'autre condition qui a fait le succès des campagnes de l'USAS : des liens financiers avec les universités, gros consommateurs des ordinateurs Mac de l'entreprise.

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